2012-2013 : une année de plus de partenariat entre l'Université et la maison d'arrêt de Nanterre

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Un partenariat de longue date

           

 C'est en 2010 qu'a débuté le partenariat entre "Histoire en action", un cours d'Histoire de l'université de Nanterre ouvert du L3 au M2, et la maison d'arrêt de Nanterre, qui se trouve derrière l'université. Il s'agit d'une collaboration entre des étudiants d'Histoire de Nanterre dirigés par leur enseignant, François Regourd et une enseignante de Lettres-Histoire à la maison d'arrêt, Marion Fekete.

Ce projet permet non seulement aux étudiants d'entrer en prison, de donner un cours d'Histoire mais il permet aussi aux détenus, préparant le baccalauréat, de valoriser leurs connaissances en recueillant de nouveaux éléments pour étayer leur copie lors de l'examen.

Plus concrètement, les étudiants en Histoire sont divisés en deux groupes. Chaque groupe intervient sur deux semaines. La première semaine, ils vont à la maison d'arrêt donner un cours qui doit préparer la conférence d'un enseignant de l'université qui se déroule la semaine suivante.

 

Les cours et les conférences qui sont donnés sont adaptés au programme de français du baccalauréat. Depuis 2010, les élèves de la maison d'arrêt ont pu, par exemple, écouter des conférences sur le voyage d'Ibn Battuta, le prince et les arts, et les camps de concentration en Afrique du sud.

 

Le projet de cette année.

 

 

Nous étions d’abord 6 à être investis sur ce projet : Loise (L3 anglais-histoire), Emma (L3 anglais-histoire), Audrey (L3 anglais-histoire), Romain (M1 histoire recherche), Vladimir (M2 histoire recherche) et Vesna (M1 histoire recherche), puis deux d’entre nous (Emma et Audrey) ont décidé de se consacrer à la rédaction d’un article sur les relations existant entre l’université et la prison.

Si certains d'entre nous, comme Loise et Romain, se sont inscrits dans ce cours de préprofessionnalisation sans vraiment avoir d'idée précise en tête du projet qu'ils voulaient mettre en place, Vladimir, qui avait déjà fait ce projet l'année dernière, et Vesna, dont le thème du mémoire de master est la prison, se sont inscrits dans ce cours spécifiquement pour ce projet.

 

Trois thématiques du bac de français nous ont été proposées: le monde au XXème siècle ; la parole en spectacle ; identité et diversité : ce sont ces deux derniers thèmes que nous avons retenus.

 

Chaque projet, dont le nôtre, disposait de deux outils multimédia pour s'organiser : le forum et le planning trello.

Il faut bien avouer que le projet a eu du mal à démarrer au premier semestre. Heureusement, les choses se sont mieux organisées au second semestre et nous avons pu le mener  à bien.

 

Après nous être divisés en deux groupes, en fonction des sujets qui ont été choisis, nous avons pu commencer à nous attacher à la préparation proprement dite des cours.

 

Les étapes du projet

 

 

Dans un premier temps, le travail a d’abord consisté à se procurer de la documentation sur l’univers carcéral, ce qui nous a permis de nous rendre compte de l’état et des limites de ce système. (Problèmes de surpopulation, peu de droit à l’éducation, conditions d’hygiène). Cela nous a amenés, sans avoir physiquement vu l’univers carcéral, à réfléchir à des issues pour ces problèmes.
 

Puis, nous avons rencontré Marion afin qu'elle nous explique le déroulement de ces cours, non seulement en fonction de ses attentes pour le contenu pédagogique, mais aussi en fonction de la problématique particulière que pose l'enseignement en prison. Cette rencontre s'est déroulée au mois de novembre. Nous y avons aussi établi les dates de nos interventions : elles devaient se dérouler tout au long du mois d'avril, le vendredi matin, de 9h à 11h, sur les heures de cours de Mme. Fekete.

 

Nous avons ensuite choisi les sujets : Loise et Romain ont travaillé sur l’idée de l’identité noire-américaine. Cela permettait d’allier deux thèmes du programme : « Identité et diversité au 20ème siècle », et « la parole en spectacle » car il y avait la possibilité d’exploiter des discours. De plus, Loise et Romain avaient déjà travaillé sur le sujet lors de leurs études et ils se sentaient donc capables de donner un cours sur ce thème.

Vladimir et Vesna ont, eux, travaillé sur l'identité algérienne pendant la période coloniale au  XIXème siècle. Ce sujet est également venu assez naturellement, car Vladimir faisait son mémoire sur l'OAS et avait déjà beaucoup  de documentation. De même, Vesna avait déjà suivi des cours sur ce sujet.

 

Une fois ces choix validés par Mme. Fekete et M. Regourd , nous avons dû nous atteler à une des étape les plus importantes pour le déroulement du projet : trouver des enseignants de l'Université de Nanterre qui seraient intéressés pour intervenir et surtout qui seraient disponibles !

 

Pour le projet sur les Etats-Unis, Loise avait déjà en tête une de ses enseignantes en civilisation américaine et lui en a parlé directement : Mme. Caroline Rolland-Diamond, maître de Conférences en civilisation américaine au département de langues de Nanterre. Loise avait déjà eu l’occasion de suivre ses cours et la savait spécialiste du sujet. De plus, Caroline Rolland-Diamond est l’enseignante référente des étudiants de la licence Histoire-Anglais au département d’anglais et il nous paraissait intéressant  de créer un nouveau lien entre les deux départements à l'occasion de ce projet. Caroline Rolland-Diamond a tout de suite montré sa volonté de participer  à ce projet lors de notre première conversation.

 

Pour le projet sur l'Algérie, Vesna et Vladimir ont dû envoyer des mails à de nombreux enseignants. Finalement, c'est une enseignante que nous avions contactéé qui nous a orientés vers Mme. Laure Blévis, socio-historienne du département de sociologie, spécialiste de l'identité algérienne.

 

Une fois les réponses des enseignants définitivement acquises, nous avons pu préciser le calendrier : Le vendredi 5 avril, le cours sur l'Algérie, le 12 l'intervention de Mme. Blévis puis le 19 c'était au tour du cours sur les Etats-Unis, suivi, le 26, de l'intervention de Mme. Rolland-Diamond.

 

Une fois cette étape importante passée, nous nous sommes attaqués au coeur du projet : la préparation du cours. Cette préparation s'est effectuée à deux niveaux : tout d'abord sur le contenu pédagogique du cours, le contenu "scientifique". Ensuite et surtout l'important travail à faire pour ce cours était d'adapter le cours au public particulier que sont les détenus. Les principales contraintes pour écrire le cours ont été :

  • réussir à avoir un contenu qui soit clair pour un néophyte. On peut parfois avoir l'impression que les éléments historiques ou géographiques sont clairs mais il ne faut pas oublier que ces élèves ont, pour la plupart, été déscolarisés assez tôt.
  • Adapter la pédagogie à ce public, notamment en leur fournissant des cartes et des aides à la prise de note. Mme. Fekete a beaucoup insisté sur ce point : la plupart des élèves n'arrivent pas à prendre des notes rapidement et à écouter le cours en même temps. Il faut donc parler lentement et savoir rapidement aller à l'essentiel.
  • Enfin la contrainte liée au temps est de première importance. Les élèves rentrent en classe entre 8h30 et 9h et ils sont très réactifs. Il faut donc arriver à les canaliser et ne pas perdre le fil de sa démonstration.

 

Pour le projet sur les Etats-Unis, le plan se constituait de trois grandes parties :

  1. De l’affranchissement à la Seconde Guerre mondiale : les frustrations des Afro-Américains (abolition de l’esclavage & ségrégation),
  2. Le monde dans les années 1950-1960 : le monde entre chaos et idéaux (replacer le sujet dans un cadre plus large afin que les étudiants puissent comprendre le lien avec leur programme),
  3. Le mouvement généralisé des droits civiques : partisans, acteurs et opposants (présenter les différentes figures qui ont marqué le mouvement des droits civiques des années 1950-1960 à travers les discours).

 

Pour le projet sur l'Algérie, le cours préparatoire se constituait de deux parties :

  1. 1830-1880 : la prise de possession du pays. Repères géographiques et sociologiques pour comprendre la situation de l'Algérie pendant cette période mais aussi choc de la colonisation.
  2. 1880-1914: les deux Algérie. La "cohabitation" entre les Français et les Algériens, les contestations de la présence française.

 

Il a fallu, parallèlement à cette étape, gérer d'autres contraintes, plus administratives celles-là. Au cours du mois de février nous avons pas exemple dû envoyer des copies de nos pièces d'identités à Mme. Fekete pour qu'elle les transmette à l'administration pénitentiaire. Nous avons dû aussi faire des réunions avec les enseignantes afin de savoir sur quel sujet elles souhaitaient faire leur conférence.

 

Enfin, la dernière étape a consisté à envoyer le contenu du cours aux enseignants.

 

 

Le jour J.

 

Une fois ces différentes étapes réglées, le mois d'avril était déjà arrivé !

 

Les impressions des deux groupes sont assez semblables.

 

Projet sur l'Algérie : Vladimir et Vesna ont ouvert le feu le 5 avril. Vladimir connaissait déjà l'établissement et l'ambiance qui pouvait y régner. Une fois dans l'aile scolaire, Vladimir et Vesna ont attendu les élèves. Il y avait au cours de Marion 8 élèves environ. Après les présentations, le cours a commencé.  

Dès que les élèves sont arrivés, l'univers carcéral a été vite oublié: la classe et l'enseignement prenaient le dessus. Cela a été également le sentiment de Loise et Romain, 15 jours plus tard. Le temps est passé très vite. Vladimir et Vesna ont été contents de voir que les élèves avaient beaucoup réagi sur leur intervention. L'échange a vraiment été très riche et très intéressant, même s'il a parfois été difficile à canaliser : questions diverses et parfois hors sujet mais tout cela a été très intéressant. Une autre contrainte découverte "en direct" a été le fait qu'ils avaient, bien évidemment, une vision différente de l'histoire que des étudiants à l'université. M. Regourd avait donc insisté pour que nous expliquions le devoir de neutralité de l'historien, d'autant que les deux sujets pouvaient être assez sensibles. Le conflit entre histoire et mémoire familiale, notamment, est apparu ici au grand jour.

 

Enfin, Vladimir et Vesna ont aussi pu, lors de la pause, découvrir la bibliothèque de la prison avec M. Serge Cabrolié, le responsable pédagogique.

 

Mme. Blévis est intervenue la semaine suivante. Elle a parlé des différents statuts des individus sous la société coloniale. Elle a réussi à faire un exposé simple et très riche de ce sujet pourtant fort compliqué, et son intervention était passionnante. Lors de son intervention, un groupe d’éleves incarcérés, suivant le séminaire de criminologie de l’université de Nanterre nous a rejoints. Cette présence a permis de donner une autre dimension au débat et de nombreuses questions ont été posées sur la notion d'identité. Vladimir et Vesna ont été contents de constater que les élèves avaient retenu des éléments de leur intervention et les utilisaient pour intervenir dans la conférence de Mme. Blévis.

 

 

Projet sur les Etats-Unis : Le principal avantage dont ont bénéficié Loise et Romain lors de la préparation de leur cours a sûrement été que Vesna et Vladimir avaient assuré une intervention avant eux : ils ont ainsi pu leur donner leurs impressions, notamment sur les supports pédagogiques, et Loise et Romain ont ainsi pu adapter les leurs. Marion Fekete avait également prévenu que les étudiants avaient beaucoup de mal à écouter, prendre des notes et à se concentrer en même temps. Loise et Romain ont eu recours à quelques photos pour illustrer certains éléments (Ku Klux Klan, pancartes ségrégationnistes, etc.), une carte des Etats-Unis complétée par leurs soins, des copies des discours, et une fiche à compléter qui combinait plan et chronologie.

 

Le jour du cours est arrivé, et rentrer dans la prison, voir les détenus, les surveillants, passer les différentes portes et marcher dans les couloirs... Tout cela a été très impressionnant.

L’interaction avec les étudiants a été relativement bonne, même s'il fallait parfois « recadrer » le cours pour qu’il ne dérive pas en un capharnaüm de blagues et de réflexions personnelles. Leur principale crainte était la durée de l'intervention : ils ont donc dû s'adapter et « élaguer » certaines parties pour laisser du temps au débat, qui a bien fonctionné en fin de cours.

 

Lors de la semaine suivante, la conférence de Caroline Rolland-Diamond a démarré avec plus de difficultés, à cause des retards de beaucoup de détenus suite à des problèmes d’organisation. Mais celle-ci a tout de même bien retenu leur attention, avec une intervention passionnante. Sur certains points, les élèves on su faire le lien  avec ce que nous leur avions expliqué la semaine précédente.

Les étudiants semblaient satisfaits de voir un professeur de l’université venir leur donner un cours : apprenant que Caroline Rolland Diamond avait publié des ouvrages de recherche sur la question de l’identité noire-américaine, Marion Fekete lui a demandé si elle pouvait lui en envoyer pour les mettre à la disposition des étudiants dans la bibliothèque de la prison - ce qui a été fait dans les jours qui ont suivi.

 

 

 

Bilan

 

Nous avons tous apprécié énormément l'échange avec ces élèves. C'était une expérience humaine très enrichissante, qui nous a aussi permis de nous frotter aux dures réalités du métier d'enseignant, ce qui était la première fois pour certains d'entre nous. Il y a en effet une multitude de choses à avoir en tête en donnant son cours : est ce que les élèves suivent, est ce que je vais réussir à finir, comment vais-je gérer cette question d'un élève etc ?

Les enseignantes ont elles aussi été très contentes de cet échange et leur passionnante intervention ont suscité d'intéressants débats. Nous sommes heureux d'avoir pu ouvrir ce beau projet à d'autres départements qu'à celui d'histoire puisque cette années ce sont une enseignante du département de sociologie (Laure Blévis pour l'Algérie) et une enseignante du département d'anglais (Mme. Rolland-Diamond pour les Etats-Unis) qui sont intervenues.

 

De plus nous avons appris plus tard que le sujet d'Histoire du Bac professionnel de l'année 2013 a été...l'indépendance de l'Algérie!

 

Pour aller plus loin …

Une autre expérience menée par l'Université de Nanterre à la maison d'arrêt voisine :

(www.justice.gouv/prison-et-reinsertion-10036/seminaire-de-criminologie-clinique-24286.html)

Et pour vous renseigner plus en détails sur les liens entre l'Université de Nanterre et la maison d'arrêt, lisez l'article d'Emma et d'Audrey !

 

Nos références bibliographiques :

 

ALGERIE :

Bouchène Abderrahmane, Peyroulou Jean-Pierre, Tengour Ounassa Siari, Thénault Sylvie (dir.), Histoire de l'Algérie à la période coloniale 1830-1962, Paris, La découverte-Barzakh (coéditions), 2012.

Barrière, Louis Augustin, Le statut personnel des musulmans d'Algérie de 1834 à 1962, Dijon, EUD, 1993.

Stora Benjamin, Le nationalisme algérien avant 1954, Paris, CNRS, 2010.

 

ETATS UNIS :

Robert Frédéric, La civilisation américaine par les textes de 1494 à nos jours, Paris, Ellipses, 2003.

Levy Claude, Les minorités ethniques aux Etats-Unis, Paris, Ellipses, 2007.

Portes Jacques, Etats-Unis : une histoire à deux visages : une tension créatrice américaine, Bruxelles, Editions Complexe, 2003.

Branch Taylor, Parting the waterg : America the King Years : 1954-1963, New-York, London, Touchstone book, 1988.

Norton, Katzaman and Blight, A People and a Nation. A History of the United States, New-York, Houghton Mifflin Compagny, 2012.

Moses Wilson, The Golden Age of Black Nationalism (1850-1925), Oxford, Oxford University press, 1988.

Hine Darlene Clarck (dir.), African Americans : a concise history, Upper Saddle River, prentice Hall.