Des historiens en prison, autour du voyage d'Ibn Battuta

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Histoire et voyage  

Université Paris Ouest Nanterre / Maison d’arrêt de Nanterre

Hiver et printemps 2010

 

Dans le cadre d’un cours de préprofessionnalisation du département d’histoire, M. Regourd a émis l’idée d’un cycle de conférences à la maison d’arrêt de Nanterre. Il s’agissait de s’adresser à un public non étudiant, de diffuser l’Histoire - en somme, d’exporter les savoirs de l’université de Nanterre au-delà de ses murs, de décloisonner l’université et de l’ouvrir sur la cité.

 

Le plus difficile dans ce projet a été de pouvoir entrer en contact avec les interlocuteurs de la maison d’arrêt. M. Guinot, responsable de la sécurité sur l’université de Nanterre, qui dispose de contacts avec la direction de la prison, nous a aidé à entrer en relation avec celle-ci.

Nous avons obtenu un entretien au mois d’avril avec la direction de la prison. Le directeur de la maison d’arrêt, monsieur Vion (un ancien professeur d’histoire géographie !) était présent, ainsi que le responsable des formations au sein de la maison d’arrêt (le proviseur local) monsieur Serge Cabrolie et un professeur qui enseigne l’histoire, la géographie et les lettres aux élèves de BEP, madame Fekket. Ils se sont montrés très intéressés par la possibilité d’une intervention d’un professeur de l’université de Nanterre.

 

Nous avons alors proposé le thème du voyage. Celui-ci nous paraissait tout à fait approprié pour le public visé. C’était un moyen de « s’évader » quelques heures, en quelque sorte… et d’aborder un thème qui n’est pas étudié, en général, durant la scolarité. Il s’agissait aussi d’avoir une approche plus ludique, vivante et "incarnée" de l’histoire. Nous voulions intéresser les élèves à notre discipline, leur montrer que l’Histoire, ce n’est pas forcément les guerres, les batailles, les révolutions de toutes sortes ‑ ce que l'on retient trop souvent, malheureusement, des cours d’histoire au collège et au lycée.

 

Notre choix s'est arrêté sur un voyage précis : celui d’Ibn Battûta, un voyageur arabe du Moyen Âge (XIVe siècle). Pourquoi ce choix ? Car un spécialiste de ce personnage et de ce voyage enseigne à l’Université de Nanterre : le Professeur Gabriel Martinez-Gros. En outre, ce voyage exceptionnel, en tout point comparable en importance à celui de Marco Polo, est bien moins connu que celui de l’illustre marchand vénitien. Il nous semblait donc intéressant de parler de ce voyageur méconnu.

Bibliographie indicative sur le voyage d’Ibn Battûta : cliquez ici.

 

Mme Fekket et M. Regourd, nous ont alors proposé de préparer les élèves des classes de BEP de la Maison d’arrêt à la conférence de M. Martinez Gros. C’était donc pour nous une première expérience de l’enseignement. Nous avons donné un cours d’une heure environ, à deux classes différentes. Il nous a donc fallu préparer ce cours avec le plus grand soin, et c’est la partie du projet qui a réclamé le plus de temps. Cela rend admiratif des professeurs du secondaire qui ont quinze ou dix-huit heures de cours à préparer chaque semaine ! Un cours devant des élèves de niveau BEP ne peut pas ressembler totalement à un exposé tel qu’on en réalise à l’université. La masse de connaissances à transmettre doit être beaucoup plus réduite : les élèves ne sont pas habitués à la prise de note. Il faut donc être synthétique et concis – et il n’est pas pertinent de faire un cours magistral ; il convient au contraire de mettre au premier plan la participation active des élèves. L’élève doit être au cœur du cours. Il faut l’interpeller sans cesse, l’interroger, lui demander son point de vue, etc. Mais le cours, aussi fluide et réactif soit-il, doit être bien préparé : il faut un plan simple et solide, et un vrai fil rouge à suivre fermement ; il faut, constamment, être capable de recadrer les échanges sans se laisser "embarquer" sur des chemins de traverse par des questions sans fin. De fait, il est possible que le cours évolue fortement en fonction des réponses apportées et des attentes des élèves – et c’est ce que nous avons connu face au flot de questions qui nous ont été posées ! Mais il faut garder en tête les points fondamentaux que l'on veut transmettre et faire acquérir aux élèves.

 Ces cours furent une expérience vraiment enrichissante, à tout point de vue, et sans égal. Le contact avec des élèves face à soi est bien différent du contact avec d’autres étudiants lorsqu’il s’agit de présenter un exposé lors des TD. À notre grande surprise, les élèves se sont montrés enthousiastes pour le cours que nous leur avons proposé. Ils étaient très intéressés, participaient pleinement, posant des questions très pertinentes. Nous étions donc surpris par le niveau global des élèves, lequel était plus que correct et par l’implication qu’ils ont montrée. C’est une expérience très intéressante d’avoir devant soi un tel public, bien loin des idées reçues ; les individus, dans ce contexte très particulier du cours en prison, se sont montrés très curieux, attentifs, parfois passionnés - et ne nous ont paru ni « dangereux », ni particulièrement « différents ». De quoi rendre optimiste, finalement.

M. Martinez Gros est intervenu à la maison d’arrêt le 25 mai 2010. Il a été aussi agréablement surpris que nous l’avions été lors de nos deux cours de préparation, par l’intérêt suscité par son intervention. La bibliothèque de la prison a acquis un exemplaire du voyage d'Ibn Battûta, et Mme Feket nous a confirmé qu'il a été emprunté immédiatement par deux élèves au moins.

Quant aux conseils que nous pouvons donner suite à cette expérience : il ne faut pas se montrer trop ambitieux, mais il faut préparer son sujet avec soin – et ne pas sous-estimer la difficulté des questions qui peuvent nous êtres posées !

Nous étions partis à l’origine sur un projet de cycle comprenant sept interventions. C’est beaucoup trop, surtout en reprenant l’idée, très intéressante à notre avis, de préparer les élèves aux conférences, avec les conseils de notre enseignant, M. Regourd. Le temps de préparation des cours est loin d’être négligeable. Deux conférences sur un semestre pour deux étudiants motivés, c’est un nombre bien plus raisonnable. Une autre observation : il est préférable que les cours et les conférences se déroulent avant la fin du mois d’avril. En effet, il est parfois difficile de rivaliser avec le terrain de sport quand arrivent les beaux jours... ce que l’on peut bien évidemment comprendre, quel que soit l'intérêt, réel, exprimé par les élèves volontaires.

 

Quoiqu’il en soit, tous les élèves ont souhaité, après cette première conférence, que l'Université "revienne" dans la Maison d'arrêt.

Nous espérons tous les deux que d’autres auront la chance de pouvoir vivre cette expérience vraiment passionnante, qui pourrait contribuer à tisser des liens forts entre l’université et la maison d’arrêt, dans la durée.

 

Nordine Hamroun et Johan Pause