Genghis Khan à Nanterre. Du voyage à l'exposition.

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    Du 17 au 29 janvier 2011, Phirum, étudiante en master histoire à Nanterre, a présenté à l'espace Reverdy (espace d'exposition de l'université), une exposition de photographies et de textes nés d'un voyage original en Mongolie, sur les traces de Gengis Khan, de son histoire, et de son image... 

 

 Monter un projet

                Monter un projet est une expérience aussi passionnante qu’éprouvante, et les premiers enthousiasmes doivent s’accompagner d’une lucidité constante pour leur donner corps et vie. En effet, décider d’une entreprise, c’est n’être jamais seul, même quand l’initiative est individuelle, mais impliquer une multiplicité de personnes. Du spécialiste qui acceptera de vous conseiller dans vos orientations, au public à qui vous présenterez votre travail, l’éventail est large et varié. Cette dimension collective, enrichissante à tout point de vue, appelle une attitude responsable que je définirai comme la première qualité nécessaire pour qui aspire à réaliser un projet. Un devoir hâtif – que celui qui n’est jamais passé par-là me le dise -   ne regarde que vous ; en revanche, un retard à un rendez-vous ou un faible répondant face à un interlocuteur qui constitue une aide potentielle vous pénalise vous et l’ensemble de votre équipe, mais manifeste également un certain manque de respect vis-à-vis de tous. Cet engagement, parce que vous avez affaire à des personnes, doit encore se doubler d’une nécessaire compréhension des autres. Être souple, savoir faire la part des choses sans pour autant dévier de vos grands objectifs, n’est pas seulement préférable mais essentiel. Les prises de contacts sont de ce point de vue les plus difficiles : non seulement certains interlocuteurs peuvent être très occupés, mais, en outre, vous devez progressivement convaincre du sérieux et de l’intérêt de votre projet. Accepter jusqu’à un certain point l’absence de retour est une phase par laquelle vous passerez. Votre patience n’aura en réalité d’égal que votre motivation, moteur de vos efforts et clef de votre réussite. Comment convaincre sans être soi même convaincu ? Le choix de votre sujet est primordial et son critère unique : faites vous plaisir !!!

Partir pour la Mongolie

Passées ces remarques générales, je me propose de vous faire partager quelques enseignements tirés de mon propre projet : un photo-reportage en Mongolie  « A la recherche de Chinggis Khaan », qui  arrive en ce moment à sa dernière phase de montage, après une phase de préparation et de terrain. Ce type de projet, individuel, écrit et photographique, à l’étranger et en mode « backpack » a  ses caractéristiques et difficultés particulières. Porter seule un projet m’a donné toute marge de liberté dans mes décisions, mais a également demandé une somme d’énergie et de temps non négligeable. Mon savoir faire universitaire d’historienne a largement déterminé la méthode choisie pour la rédaction du texte : choix du sujet, établissement d’une problématique et d’une bibliographie, et en fonction de celles-ci, tracé d’un itinéraire,  listing des personnes à rencontrer, préparation d’une grille de questions pour les interviews, enregistrées quand ne se sont pas apparus quelques imprévus matériels. Une pratique amatrice de la photo et le conseil de professionnels m’assuraient des  bases pour des prises de  clichés qui doivent être et – seront !-  présentés à mon retour. Pouvait se poser a priori la question du droit d’image, mais seuls deux musées dans mon panel de sujets à photographier, demandaient une petite compensation financière.

La Mongolie, pays de centre Asie en voie de développement, posait d’avance certaines difficultés pour la française néophyte que j’étais.  La première, à résoudre très rapidement, était celle de la langue ; la seconde, beaucoup plus ponctuelle mais présente était celle d’un rapport faussé par l’imaginaire du « riche occidental », même en sac à dos et chaussures de rando. Ce dernier mode en effet, à la fois contraint par un budget estudiantin et choisi pour sa simplicité, devait permettre un contact facile avec les populations. En dérivait naturellement un inconfort relatif, certes stimulant et riche de rencontres, mais dont la constance requiert à la longue une certaine résistance. Amateurs de transats, s’abstenir.

Préparer. Anticiper. Financer. Concrétiser

Un temps de préparation sur cinq mois a précédé le grand départ pour sérier, résoudre, et planifier. C’est clairement un timing trop juste quand vous faites des études et que vous avez d’autres activités par ailleurs ; vous cravacherez bien moins en vous y prenant dès septembre. Vous prendrez le temps de mettre les choses en place, et surtout, vous vous assurerez avec plus de sûreté les bons contacts sur le terrain. Il m’a fallu pour ma part lutter sur tous les fronts, intellectuels et matériels,  en même temps et  en étant soumise aux échéances strictes des rendus de dossiers pour l’obtention des aides financières. Ce n’est pas impossible, mais ce n’est pas conseillé. La série de tâches qui se présentait était en effet considérable.

Le premier objectif était de trouver un sujet qui, en plus de me satisfaire personnellement, devait présenter à la fois un intérêt « universitaire » qui lui donne une consistance et me permettait de déployer un certain savoir faire, et un intérêt plus large qui permettent à tous de s’y arrêter et découvrir au-delà d’une image traditionnelle les enjeux d’une problématique stimulante. Après une prise de contact, comme je le disais, nécessairement plus longue que je le souhaitais, j’ai eu la chance d’être orienté très rapidement par Isabelle Charleux, professeur d’histoire de l’art à Paris IV et chargée de recherche au CNRS. Son article sur les portraits anciens et modernes de Chinggis Khaan dans le monde mongol a été le point de départ de mon enquête. La présence à certains séminaires sur la Mongolie, des recherches et lectures bibliographiques m’ont permis de solidifier et agrandir ce premier cadre théorique. En parallèle, recensement des associations franco-mongoles, prises de contacts et rencontres diverses m’ont permis d’ajuster ma vision de la Mongolie. Les rencontres, par contacts, de personnes s’y étant rendues, projetant de s’y rendre ou vivant là-bas, achevaient de me confirmer ce que je pouvais en attendre en matière de sécurité, de transports, de « ravitaillement » et d’évaluer la faisabilité de la feuille de route que je commençais à élaborer.

En dehors des dossiers pour les universités, qui n’acceptent que de financer les manifestations montées en retour d’expédition, cette feuille de route est centrale dans les dossiers que vous devez constituer pour les aides municipales ou régionales. Le sacrosaint budget doit être l’objet de toutes vos attentions et calculé de près, sous peine de n’obtenir qu’une aide réduite, au mieux, ou une perte complète de crédibilité, au pire. Il constitue, avec l’intérêt que présente votre projet pour la communauté, un critère de sélection majeur pour l’attribution ou non d’une bourse. Pour les aides non universitaires, une contribution personnelle vous est demandée jusqu’à hauteur de 50% pour certains organismes. Au-delà cependant de son angoissant enjeu, établir un budget est un excellent exercice de pragmatisme et d’organisation, qui vous permet éventuellement de prendre conscience de certains points faibles. Enfin, si une bourse bien pleine facilite ô combien vos démarches, un brin d’ingéniosité et deux sous de patience peuvent malgré tout balancer des poches percées. Il était dans mon cas impossible de payer une interprète à 50$ la journée, je me suis débrouillée pour proposer aux universités locales et à l’Alliance française d’Oulan-Bator les services d’une étudiante en français - contre un échange sur Paris. Nul besoin de dire que cela m’a pris dix fois plus de temps — mais que cela m’est revenu dix fois moins cher !

Pour résumer, donc, au matin du grand départ : une feuille de route avec carte détaillée et décompte des jours, une liste de personnes et de questions, un point de chute à l’arrivée et plusieurs contacts sur place, un appareil photo vérifié par un pro avec le bazar de cartes, d’objectif et de disques durs externes, un enregistreur,  un sac de rando complet avec tente, les billets réservés trois mois à l’avance, beaucoup d’inconnu malgré tout — et de ce fait beaucoup de foi !

Enfin sur place !

Pour de multiples raisons, mon temps de « terrain » en Mongolie a été réduit à un mois, relativement court par rapport à l’ambition de l’enquête. J’ai néanmoins pu réaliser la majeure partie du programme que je m’étais donné, en sacrifiant deux ou trois lieux au profit de rencontres plus importantes dans la capitale. Sur place, une adaptation rapide est de première nécessité. Vous découvrez l’existence d’éléments intéressants, ou au contraire relativisez – quelques fois grandement – la portée présupposée de certains faits. Exemplum, que faire quand ce qu’on vous a présenté comme un grand laboratoire de recherches sur Chinggis Khaan commence à vous présenter la photo prise du visage du Khaan qui s’est miraculeusement dessinée dans la fumée des feux de camps un soir que ses « membres » le célébraient et le priaient ? Si prendre la porte viendrait à l’idée de beaucoup, rester à analyser les activités de ce « centre » comme cristallisation d’un certain phénomène social autour d’une représentation particulière du Khaan est plus avisé.

 L’immense territoire mongol pose également la question aiguë des transports : que faire quand vous vous apercevez que les deux tiers de votre itinéraire, a-touristique au possible, est fait de chemin de terre battue et qu’aucun transport public ni chauffeur, sinon à prix d’or, n’accepte de s’y rendre ? Cherchez, cherchez, cherchez, présentez votre situation à diverses instances, et vous trouverez. Fût-ce au marché noir, après deux jours de recherche et cinq heures d’attentes sur place pour un mini-van où les six ou sept sièges objectifs peuvent prodigieusement accueillir une douzaine de personnes.

Persévérer. Maître mot de toute entreprise, il l’est encore plus quand elle est de type enquête journalistique. Ce fut une grande satisfaction de rencontrer le compositeur de l’Opera Chinggis Khaan, mais entre les horaires d’ouverture, les employés dépassés, le retour d’un responsable, il m’a fallu m’y reprendre à trois reprises pour avoir un numéro de téléphone, puis attendre ensuite le retour de vacances de celui-ci, avant de pouvoir avoir enfin, un rendez vous. Rien d’extraordinaire cependant : souvenez-vous de votre première inscription à l’université ! Comme quoi, la Mongolie « is easy » ?!

Sachez encore que vous bénéficiez de l’image de l’étudiant qui vient de loin et qu’en cela, une certaine indulgence peut vous être accordée, si bien sûr vous arrivez à prouver votre sérieux. Enfin, restez vigilants. Ne partez pas naïvement à la rencontre d’une autre culture sans tenter de comprendre les préoccupations actuelles de son peuple, et de ce fait des comportements qui peuvent au premier regard vous apparaître décevants. La grande proportion de bonnes rencontres, les coups de pouce que j’ai reçus n’effacent pas certaines déconvenues. Si la proposition d’aide d’un docteur en histoire à hauteur de 13 000 $ me fait encore sourire, j’ai en revanche moins apprécié d’autres filouteries, entre autre le vol de matériel photo. Nul jugement à poser sur un pays dont les conditions de vie sont trop différentes des nôtres, mais au moins une vigilance qui doit rester constante, d’autant plus si vous partez pendant l’été, en période touristique.

Il me reste encore à terminer cette dernière phase de montage : retraduction des interviews enregistrées, fichages, lectures, rédaction pour la partie reportage, sélection des photos, travail sur logiciel, choix des formats et de la disposition, rédaction des cartels et panneaux explicatifs, communication pour la partie exposition. Un an ainsi après le lancement de l’idée, le projet sera je l’espère, achevé. J’ai ici tenté d’éclairer quelques aspects de ce que signifiait monter un projet, en essayant de balayer l’ensemble des tâches qu’il implique et en insistant sur des difficultés concrètes et les attitudes à adopter en conséquence. Je n’ai guère laissé de place, dans ces lignes, aux fabuleuses personnes que j’ai pu rencontrer, ni aux lieux que j’ai pu découvrir, aux histoires que l’on m’a contées et qui, avec mon travail, ont entretenu et maintenu aussi ardents mes premiers enthousiasmes. Cette partie de l’aventure sera à découvrir dans l’exposition qui sera présentée de 10h à 18h, du 17 au 29 janvier 2011, à l’Espace Reverdy de l’Université de Nanterre (rez-de-chaussée du bâtiment L), puis ailleurs dans Paris. Alors venez nombreux !

 

Phirum Gaillard - Master Histoire - octobre 2010.