Freak Show
mer, 11/17/2010 - 22:18 | Ajouter un commentaire
Avec son nouveau film La Vénus Noire, le réalisateur de L’esquive (2004) et de la Graine et le mulet (2007) inflige un spectacle dur, difficile, déstabilisant. Entre dénonciation et provocation.
La Vénus Noire, c’est l’histoire de Saartjie Baartman surnommée ironiquement par oxymore la Vénus Hottentote : cette femme noire d’Afrique du Sud (du peuple Hottentot, proche des Bushmen) fut contrainte en 1810 de suivre Haendrick Caezar, son esclavagiste, en Angleterre. On retrouve Saartjie sous un chapiteau de fortune, encagée et dévêtue exhibant sous les ordres de Caezar sa stéatopygie. En effet, cet exhibitionniste ne recula devant aucun scrupule ni aucune mise en scène pour faire de cette femme l’attraction phare de tout Londres dès le début du siècle. Après le spectacle anglais, c’est au tour de la science française de l’utiliser pour manifester la supériorité de la race blanche, et de rapprocher au mieux la morphologie de la Vénus Hottentote des orangs-outangs. Cuvier et Geoffroy de Saint Hilaire, les deux plus éminents naturalistes français de l’époque, sauront à merveille profit des particularités physiques de Saartjie : disséquée, moulée, elle sera exposée jusqu’en 1974 au Museum d’Histoire Naturelle de Paris ; ses restes ne seront rendus à l’Afrique du Sud qu’après huit ans de procédures judiciaires, en 2002.
Le film d’Abdellatif Kechiche nous replonge dans l’atmosphère spectaculaire, au sens littéral, du début XIXème siècle. Prolongeant toujours un peu plus ses plans-séquences, le réalisateur met clairement le spectateur en position de voyeur, de profiteur. En portant à l’écran l’intimité de cette femme avec une maîtrise visuelle et une précision toujours aussi saisissante, Abdellatif Kechiche sensibilise autant qu’il met mal à l’aise, et joue avec les limites de l’inconvenance ; le chemin de croix de Saartje Baartman devient peu à peu cruel, pesant et lourd. Le spectateur ne sort pas indemne de ce film de 2h44. Peu à peu étouffé, il est éconduit vers une fin trop peu critique. Le scénario se focalise sur le voyeurisme et empêche un traitement plus analytique des enjeux de l’exhibition du XIXe et XXe siècle.
Cette biographie aussi véritable qu’édifiante reste toutefois de grande qualité. A la limite du supportable, Abdellatif Kechiche impose sa vision du début XIXe et sensibilise à coup sûr le spectateur.
La Vénus Noire, film de Abdellatif Kechiche. Sortie le 27 octobre 2010.
Avec Yahima Torres, André Jacobs, Olivier Gourmet.