Toujours inspiré, jamais rassasié. Bernard Ouillon, dit « Lavilliers », est une exception dans la chanson française d'aujourd'hui. Une sorte de monstre sacré, vestige d'une époque où les auteurs-compositeurs-interprètes étaient encore légion, et qui a parfaitement réussi à rester dans l'air du temps. Un ancien boxeur, né dans le creuset ouvrier de Saint-Étienne, et emporté par un destin à la Rimbaud depuis sa fugue pour le Brésil, à dix-neuf ans. Son amour pour la culture Sud-Américaine ne s'est depuis jamais éteint, et après lui avoir donné des succès comme « La Salsa », « Melody Tempo Harmony » ou « Marin », l'inspire pour un dix-neuvième album studio. Le titre de ce disque vient d'une discussion avec François Mitterrand, qui lui demanda après un concert à l'Elysée : « Que faites-vous en ce moment ? » « Comme d'habitude, je chante des causes perdues sur des musiques tropicales », répondit Lavilliers. Causes perdues et musiques tropicales  débute par « Angola », une adaptation d'un tube de Bonga Kuenda, un mythe de la musique africaine qui vient pour l'occasion poser sa voix déchirée et déchirante derrière les mots de Lavilliers. « Je connais qu'un seul endroit, mais c'est pas fréquentable, Où on joue ce blues-là, aussi noir que le sable... »
Après un détour très reggae sur Samedi à Beyrouth, son disque précédent, le Corto Maltese de la chanson française revient à des sonorités plus acoustiques et à des orchestrations plus dépouillées. Arpèges de guitares sèches, accordéon, percussions, cuivres et piano rappellent la chaleur de Carnets de voyage. Cyril Atef, Seb Martel (batteur et guitariste de Mathieu Chédid), David Donatien (arrangeur de Yaël Naïm), mais aussi Mino Cinélu (percussioniste de Miles Davis) et le Spanish Harlem Orchestra sont convoqués pour l'occasion et offrent un écrin à la voix toujours aussi sensuelle de Bernard Lavilliers. Tour à tour renégat : « Naufragé... Solitaire.. Exilé... Volontaire», rongé par le désir :  « Oh ma belle, encore un verre d'alcool, et je vais fusiller le destin en plein vol », ou l'angoisse de la séparation : « Si j'pouvais deviner où tu t'en vas...», le chanteur aux mains d'or n'oublie pas non plus ses convictions politiques, en adressant une pique à la Sarkosie dans « Identité Nationale » : « On se croirait revenu à Vichy, chez Pétain, Mentalité de flic, ou bien de courtisans rampants dans la milice ».  Les intéressés apprécieront. Nous, on remet le disque encore une fois.

Vincent Dégremont

Bernard Lavilliers, Causes perdues et musiques tropicales, Barclay

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