La Bascule du souffle
lun, 01/03/2011 - 02:37 | Ajouter un commentaire
La découverte du dernier roman d'Herta Müller est une source d'étonnement, un étonnement délicieux. Sur la couverture, une photo délicate ; le nom allemand de l'écrivaine ; l'association surprenante et poétique de deux mots, d'un sens encore obscur : il faut le temps de la découverte. Installez-vous au calme, car l'écriture délicate de Herta Müller ne souffre pas l'agitation. Ensuite, prenez votre temps, cette langue se goûte dans la lenteur, chaque mot se déguste, des passages, des chapitres se relisent...
La Bascule du souffle, c'est le récit à la première personne qu'un jeune homme, Léopold, fait du quotidien dans un camp de concentration en Russie. Le lecteur français se retrouve au cœur d'une démarche singulière et d'un univers inconnu. Herta Müller est originaire du Banat roumain, région à la population de langue allemande. A la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, nombreux furent ceux déportés pour collaboration, réelle ou supposée, avec les nazis. Plusieurs personnes de l'entourage de l'écrivaine, à commencer par sa mère, ont été internées. Elle a récolté les souvenirs du poète Oskar Patior qui a inspiré le personnage de Léopold. Celui-ci est mort avant que le projet n'aboutisse. L'œuvre est donc devenue celle d'une seule personne.
Herta Müller a été couronnée Prix Nobel de Littérature en 2009. On comprend. La traduction de Claire de Oliveira rend avec bonheur cette écriture aérienne et consciente. La puissance du roman réside dans sa concentration, son acharnement à voir la beauté des choses dans ce quotidien désespérant. Le regard est précis sur les objets qui sont transfigurés et se mettent à vivre. A se demander où est la frontière entre folie et poésie. Dans ce triste paysage, la poussière de charbon est pleine de couleurs et représente les sentiments de Léopold. La pelle à charbon en forme de cœur fait de la corvée une danse amoureuse, ou l'être devient l'outil servile et aimant. Chaque prisonnier a son ange de la faim qui connaît sa victime en vérité. Les titres de chapitre sont d'une beauté bouleversante. Les formules, les remarques sur la vie touchent par leur simplicité et leur profondeur. Un livre sensible, à couper le souffle.