On ne connaît souvent d'un écrivain que ses livres. Mais on oublie que c'est aussi un homme, une personnalité particulière, un parcours singulier. Un artiste, qui travaille à mettre en scène ses obsessions. C'est à cet aspect plus intime de l'auteur que j'ai voulu m'intéresser. Qui pouvait mieux m'éclairer que Philippe Besson, consacré romancier après avoir connu une carrière toute autre ?
MCEI : Philippe Besson, comment en êtes-vous venu à écrire ?
P.B. : Ce sont les lettres qui m'ont amené au roman. J'ai commencé à écrire des lettres à l'âge de dix-sept ans, au rythme de deux à trois par jour. De sorte que, lorsque m'est venue l'idée du premier livre, cela m'a semblé facile, parce que je possédais le geste. La vérité m'oblige aussi à reconnaître qu'une rupture amoureuse m'a également décidé. Non parce que j'étais triste (et, pour sûr, je l'étais) mais parce que, tout à coup, je disposais de temps, d'espace. Si je n'avais pas été quitté, je ne serais peut-être pas devenu romancier.
MCEI : Justement, à la lecture d'En l'absence des hommes, j'ai eu l'impression que vous avez d'abord écrit pour vous, pour retrouver vos personnages en rentrant le soir, alors que vous ne saviez pas si vous seriez publié un jour. On sent que vous êtes au front avec Arthur, que vous souffrez du manque aux côtés de Vincent, et que c'est vous qui donnez des conseils aux jeunes amours homosexuelles par la plume de Marcel.
P.B. : J'ai écrit ce livre dans une parfaite innocence, une sorte de virginité. Oui, seule comptait l'écriture. Je n'envisageais pas du tout d'être publié, je n'envisageais pas d'après, j'étais dans l'instant. Il y avait un enchantement, un emportement. Et la découverte aussi, c'était assez vertigineux. Ces personnages, je les avais inventés (sauf Marcel, bien sûr, et encore...). C'est une sensation étrange. Et oui, j'étais au plus près d'eux, je pouvais les toucher, c'était une intimité très forte. Cette intimité ne m'a pas quitté.
MCEI : En effet, cette dimension est très présente dans votre écriture. C'est d'ailleurs de l'intimité entre deux frères que naît votre second roman, et c'est elle qui rend bouleversant le récit de la maladie d'Arthur. Quelle est la part de réel et quelle est la part de fiction dans votre inspiration ?
P.B. : Je me définis avant tout comme un romancier, c'est-à-dire quelqu'un qui invente des histoires, qui forme des mensonges en espérant qu'on va y croire. Par ailleurs, la vérité ne m'intéresse pas vraiment, seule m'importe la vraisemblance. Donc je puise très peu dans ma vie réelle pour écrire mes livres. J'irai même jusqu'à dire que je suis devenu romancier pour échapper à ma vie réelle, pour m'inventer d'autres existences. Enfin, je ne crois pas du tout que ce que je vis au quotidien ait le moindre intérêt pour un lecteur. Néanmoins, évidemment, on ne peut pas écrire en faisant abstraction de ce qu'on est : il y a donc, ici ou là, des traits de ma personnalité, certaines de mes obsessions, ou des emprunts à des personnes de mon entourage ou à des situations qui se sont réellement produites. Mais ça s'arrête là.
MCEI : Quels sont les écrivains ou les œuvres qui vous ont particulièrement marqué ?
P.B. : Rimbaud, parce que c'est le prodige de la jeunesse, un mystère jamais éclairci.
Proust, parce que nul n'avait écrit comme lui auparavant, nul n'a écrit comme lui après, et que c'est un médecin légiste qui pratique l'autopsie d'une époque et d'un monde.
Duras, parce que j'aime le rythme de la phrase où, parfois, la sonorité précède le sens.
Guibert, parce que c'est l'écriture du corps et qu'enfin, un écrivain posait des mots sur ma propre intimité.
MCEI : Reconnu par le public et chouchouté par la critique, vous avez imposé votre sensibilité dans le monde des romans. Vous avez également écrit deux scénarios, une pièce de théâtre et des chansons. Au moment où sort votre onzième livre, qui se propose de retrouver Vincent de l'Étoile, le héros du premier, c'est le moment de tirer un bilan sur votre "deuxième vie" d'artiste.
P.B. : Je n'ai pas vu le temps passer. Il me semble que ces dix dernières années, celles des livres, ont, en effet, filé, comme un peu de sable entre les doigts. Je crois qu'elles ont été heureuses souvent, parce que j'ai trouvé une forme d'accomplissement, de sérénité, de reconnaissance aussi. Parce qu'elles ont permis de belles rencontres, que je n'aurais pas faites autrement. Pour autant, je n'ai pas l'impression d'avoir constitué quelque chose qu'on pourrait qualifier d'oeuvre. Les livres ne sont que des moments, des fulgurances, des bonheurs éphémères même s'ils se répètent. Et mes désirs d'ailleurs n'ont pas été rassasiés. A ce stade de ma vie, c'est cela qui me taraude : l'envie d'exil. Il faudrait que je parte.
Vincent Dégremont
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