« Une clocharde s'est installée dans mon armoire. Elle est apprentie en tours de magie ratés et dit qu'elle est immortelle; ça la déprime. Ou bien c'est la cave sans fenêtres qui me sert de chambre qui la déprime. Ce qui la rend hystérique par contre c'est qu'on a été tiré au sort pour aller au bal du Roi. Il paraît que c'est la première sortie du Prince depuis des lustres. Les trois dindes s'y voient déjà. Moi je n'ai pas que ça à faire, mais l'apprentie sorcière m'a forcée. J'ai bousculé un garçon bizarre qui m'a offert sa chaussure. Je crois qu'il m'aime bien. »

Donner une voix à Cendrillon. Une modernité aussi. Joël Pommerat s’y essaie. Mais après sa lecture, « conte » ne veut plus dire « histoire d’amour et belles paroles », mais plutôt « histoire de mort (sur l’inconscient) et de non-dits, de mal-dits ou mal-compris ». Dans Cendrillon, il renverse les rapports de force et brouille les pistes, en insufflant du jeu entre nos attentes enfantines et sa version des faits. Il ironise ainsi les situations, modernise les personnages et distancie tout rapport au mythe.

Le premier parti pris de Pommerat se fait sentir dans la hiérarchie des thèmes abordés. La mort, celle de la mère de Cendrillon, éludée chez Perrault, devient centrale, non pas pour assombrir mais au contraire pour éclairer les intrigues du conte. Cette disparition mal comprise par Cendrillon/Sandra fait peser sur elle un devoir masochiste de mémoire.

Le traitement du temps donne aussi une nouvelle dimension au spectacle. L’illusion atemporelle du conte, censée lui assurer l’immortalité, trouve ses limites ici pour s’ancrer dans une modernité au propos non moins universel. Le temps n’est plus suspendu mais galopant et les personnages en sont les premiers acteurs. Cendrillon et le Prince devront s’arracher à une gravité qui n’est pas de leur âge pour s’exposer au dehors et apprendre à oublier, faire place aux rêves, au plaisir et au présent. Quel meilleur parti alors que de leur donner un âge ? Celui des métamorphoses et des décisions : quinze ans.

 

Cendrillon. Odéon - Théâtre de l’Europe - Ateliers Berthier. Du 5 novembre au 25 décembre. Pour plus de renseignements : site internet du Théâtre de l'Odéon.

Dans le cadre du Festival Escapades par l’Association Ere de Jeu, pour les jeunes spectateurs.

 

Nisrine Chiba et Lucile Margot

  

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