L'Antiquité, la modernité, et l'énigme de l'écriture
lun, 11/28/2011 - 16:00 | Ajouter un commentaire
Dans un désert ocre flouté par la chaleur se dresse Sir, la majestueuse. Suivez le guide, et entrez donc par la porte des Buffles. Ne faites pas attention à l’agitation qui règne dans le quartier des vanniers. Elle est due aux récents événements qui ont bouleversé le quotidien de ces tranquilles siriotes. L’apogée et la chute, telle est leur histoire. Si vous vous projetiez quelques siècles dans le futur, vous verriez un petit nombre d’archéologues allemands courir dans tous les sens, fourmis perdues dans la plaine. Ces éminents personnages perceront-ils un jour le secret de Sir ? Il faut craindre que non. Mais voyez cet homme au crâne rasé, là-bas, accompagné d’un grand gaillard à l’air perdu. C’est lui qu’il faut suivre pour comprendre.
Sir est orgueilleuse. Elle regarde sa consœur, Hénab, avec un dédain teinté d’ironie. Dans cette ville moderne se sont réfugiés les expatriés siriotes qui ont un jour bafoué les lois d’Anouher. Anouher est ce héros mythique qui a, par le passé, sauvé Sir de l’effondrement en offrant à son peuple des lois équitables et en lui révélant l’absence des dieux. Son visage est présent dans la plupart des rues de la ville. A chaque génération, les juges siriotes confient à un scribe la tâche sacrée de recopier les lois d’Anouher. Aujourd’hui, c’est Asral qui est chargé de ce travail fastidieux. Mais Asral est curieux. Et animé de bonnes intentions. Aidé de l’insouciant Ordjéneb, un montagnard arrivé à Sir depuis peu, le scribe décide d’établir une seconde copie, une copie dont chaque terme devenu incompréhensible au cours des siècles sera remplacé par un mot que tous pourront comprendre. Les deux hommes ignorent encore que cette aventure prendra une ampleur considérable et précipitera la chute de la grande cité. Fouiller l’écriture n’est pas anodin. Faire revivre le passé l’est encore moins. Et Asral commence à s'interroger : qui est donc réellement Anouher ? Il comprend tout, le jour où il découvre qu’AN-WH-ER, ce sont les hommes et les femmes séparés par un mince rideau. Comprendre et mourir, tel pourrait être le fin mot de l’histoire. Mais il y aura toujours un montagnard amoureux pour retourner dans son pays et transmettre ce qu’il a appris aux futures générations.
Diane Meur signe ici une œuvre intelligente et émouvante. Son style à la fois complexe et accessible nous transporte dans une antiquité rêvée qui tient de l’Egypte, de la Grèce et des Mille et Une Nuits. Les villes de plaine nous livre une poétique leçon d’humilité ainsi qu’une réflexion sur l’écriture, sa profondeur et ses supports, plus que bienvenue à l’air du numérique.
Suivez donc le guide, et laissez-vous emporter par la foule des rues de Sir. Qui sait, peut-être trouverez-vous aussi une vérité dans ces ruines rougeoyantes.
Les villes de la plaine de Diane Meur, S. Wespieser Editeur, août 2011, 372 pages, 23 euros.
Laure Le Cloarec