Ta mère la pute n'est pas le Grand Prix de l'Académie française
mer, 02/01/2012 - 01:30 | Ajouter un commentaire
Après le noir et blanc de La Haine, la bichromie de Ta Mère La Pute, sépia comme les souvenirs, semble démontrer que la banlieue ne se peint qu'en bicolore. Cette année, le Fauve du Prix Révélation d'Angoulême consacre Gilles Rochier, un auteur issu du fanzinat et de l'autoédition, publié cette fois par l'éditeur indépendant 6 pieds sous terre. Le genre de bédéiste qui aime dire qu'il ne lit pas de BD et qu'il se met rarement au travaille avant 17 heures. Il reprend pour TMLP ses thèmes de prédilection, la banlieue et l'autobiographie.
Difficile de lire TMLP sans penser immédiatement a l'actualité, n'est-ce-pas ? Ces situations trop souvent montrées et visionnées avec délectation, banlieue sauvage, sales gosses bagarreurs, misère. C'est d'ailleurs ce qu'évoquent en premier les critiques qui abordent le sujet, Pénélope Bagieu fait un lien avec La Haine, ActuaLitté avec l'adolescent poignardé à Asnières en 2011 etc... On s'en fout. On s'en fout car, si Gilles Rochier peint la banlieue de son enfance avec sa misère et son mode de vie, jamais il n'explique le basculement irrémédiable d'un enfant vers le meurtre. Pourquoi lui, pourquoi maintenant, nul ne le sait, et au fond, peut-on seulement le comprendre ?
Peut-être les causes sont-elles à chercher dans les entrailles de la cité. Oui, ces gamins sont innocents et pleins de vie, leur amitié réchauffe le coeur, et la banlieue, si chère à l'auteur, est décrite sans misérabilisme (comme l'ont remarqué TOUS les critiques). Mais ils vivent dans un lieu où la violence sourde et le non-dit règnent en maîtres. Où un exhibitionniste hante les bois pour surprendre les enfants. Où les mères se prostituent pour joindre les deux bouts sans que personne n'en parle, bien que tout le monde le sache. Cette ambiance malsaine explique sans doute le traitement ambivalant de la cité par l'auteur, qui y a vécu et d'une certaine façon en est fier, mais qui condamne ses travers sans la moindre hésitation. Le langage est direct, souvent cru, les bulles se superposent et s'entrechoquent sous le flux de l'émotion.
Si vous n'aimez pas la niaiserie, les thèmes rabâchés et les clichés sur le bon vieux temps, cette BD est pour vous. Un grand cru Angoulême 2012.
Hélène Courau
TMLP, de Gilles Rochier, éditions 6 pieds sous terre, janvier 2011, Fauve Révélation Angoulême 2012, 15,20 euros.