Un théâtre coup de poing, qui dérange et qui choque, et appuie sur les plaies. Un théâtre ouvertement politique, contrant les discours conventionnels, et qui tente de fournir au spectateur des éléments pour comprendre les temps troubles que vit l'Europe actuelle. Voici ce que propose Poli-kratos, présenté les 14 et 15 juin au Théâtre des Abbesses, dans le cadre des Chantiers d'Europe.

A l'heure où le naufrage de la Grèce est sur tous les écrans, où les médias s'offusquent, avec une vigueur bien-pensante, des dérives xénophobes et de la débâcle économique de tout un pays, le spectacle de la Compagnie Kanigunda se veut une mise en perspective documentée des événements. Retour sur l'histoire d'Athènes, cette ville-Etat symbole de la démocratie, et aujourd'hui de sa faillite. Six comédiens, à l'énergie incisive et à l'engagement total, racontent à tour de rôle les périodes qui ont façonné la ville, de l'Antiquité à la Deuxième Guerre mondiale, de la guerre civile à la dictature des colonels, jusqu'à l'hégémonie de trois grandes familles sur la vie politique des XXe et XXIe siècles, et leur impuissance à résoudre la crise.

Dans une présentation brechtienne, on confronte les points de vue, on oppose les versions : à charge au spectateur d'établir les liens, de trouver une signification -ou d'accepter l'absence de signification définitive. Ici, une jeune femme crie son désespoir face aux bombardements de napalm lancés par l'armée américaine sur les régions du nord prosoviétiques, tandis qu'un homme lui répond, voix d'un capitalisme qui se veut raisonnable, et rappelle les crimes et les échecs imputables à l'idéologie communiste. Là, une comédienne décrit la mainmise, au lendemain de la guerre, d'une minorité sur la quasi-totalité des habitations de la capitale grecque, et pointe du doigt l'enrichissement inique d'entreprises étrangères.

La vérité n'est jamais une ni évidente, l'histoire se dérobe aux récits schématiques et réducteurs. Le passé refait surface et se rappelle aux hommes par des ruses et des détours. Ainsi de Myrtis, cette jeune athénienne morte de soif il y a plus de 2000 ans, et dont le visage est projeté en fond de scène à l'ouverture de la représentation. Aux grandes sècheresses et aux famines de l'Antiquité semble aujourd'hui répondre, de manière ironique, l'absence de liquidités. Comme un écho lointain, le doux son de l'eau qui s'écoule d'un robinet laissé ouvert revient plusieurs fois au cours du spectacle. A travers cette mise en abyme de la faillite de la Grèce, la Compagnie Kanigunda invite à changer nos regards, et tend au spectateur le miroir de ses préjugés et de ses peurs.  

Poli-kratos, de la Compagnie Kanigunda, mise en scène par Yannis Leontaris
Jeudi 14 et vendredi 15 juin 2012
Théâtre des Abbesses, 31, rue des Abbesses, 75018 Paris

 J. P.

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