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Partager la culture : une utopie concrétisée ? Rencontre avec Lucie Kayas, responsable pédagogique du Théâtre du Châtelet

Par un froid après-midi d’hiver, nous avons trouvé refuge au Théâtre du Châtelet, auprès de Lucie Kayas, responsable pédagogique de l’établissement, qui a gracieusement accepté de répondre à nos questions. Notre découverte de l’envers du décor du théâtre a commencé par l’entrée des artistes, s’est poursuivie par un détour dans les cintres, et s’est terminée dans les bureaux sous les toits. Dès notre arrivée, la présence de deux jeunes stagiaires de troisième, venus comme nous pour en savoir plus sur le fonctionnement d’un théâtre, nous a plongées directement dans le bain des missions du service pédagogique.

 

MCEI : Bonjour ! Tout d’abord, pouvez-vous nous résumer votre parcours ? Comment devient-on responsable d’action pédagogique au Châtelet ?

Lucie Kayas : J’ai une formation musicale et musicologique : études de piano et de musique de chambre à l’Ecole Normale, études de musicologie à la Sorbonne et au Conservatoire de Paris, suivies d’une thèse de musicologie. En ce qui concerne mon parcours professionnel, après avoir enseigné le piano, le solfège et l’histoire de la musique dans un conservatoire de banlieue, je me suis tournée vers l’éditorial, ayant le désir de partir en Allemagne comme rédactrice française d’une maison de disque à Hambourg qui présentait une politique quadrilingue. A mon retour en France, j’ai travaillé comme free lance pour diverses structures, dont le Festival de Montpellier.
J’ai commencé à travailler en 1996 au service des programmes du Théâtre du Châtelet. En 1999 j’ai proposé à Jean Pierre Brosman de créer un service éducatif à la suite de la production d’Hansel et Gretel de Humperdinck. Il m’apparaissait en effet qu’il était dommage de ne pas avoir d’action spécifique en direction du public scolaire. Notre équipe est maintenant constituée de quatre personnes regroupées sous le terme « service d’action pédagogique » : une attachée de production, Marina Benoît, deux professeurs de musique à mi-temps mis à disposition par l’éducation nationale, et moi. Parallèlement, j’enseigne la culture musicale au Conservatoire de Paris.

MCEI : Pourriez vous préciser le rôle du service et ses missions ?

L. K. : Nous proposons une grande diversité d’activités qui s’adressent principalement à deux genres de public : un public scolaire, de la maternelle à l’université, et un public familial, plutôt concerné par les concerts du dimanche matin. Les activités ne sont donc pas tout à fait les mêmes.
La première opération pédagogique a été mise en place en 1999 sous le nom de « Collégiens et Lycéens au Châtelet ». L’idée était de créer une sorte d’école du spectateur en permettant aux jeunes d’assister aux spectacles de la grande salle en soirée tout public, et non en matinée scolaire ou en répétition. Cette opération donne lieu à un travail approfondi qui se déploie au cours d’un parcours construit. Il se fonde sur un partenariat avec l’Académie de Paris. Les enseignants proposent ainsi un projet pluridisciplinaire autour d’une œuvre de la saison suivante, puis nous travaillons ensemble pour coordonner la venue au spectacle et son articulation à leur enseignement. Deux mois avant le spectacle, nous organisons des réunions de préparation au cours desquelles le dossier pédagogique est remis aux enseignants. Nous organisons une conférence sur l’œuvre - soit avec un spécialiste ou/et un des maîtres d’œuvre (si le metteur en scène ou son assistant peut être là, il présente sa vision de l’œuvre et son projet) – afin de fournir un maximum de documentation aux professeurs. Ensuite, les enseignants mènent leur projet à leur idée, les élèves viennent au spectacle et à l’issue de celui-ci, nous mettons en place une rencontre avec l’un des artistes. Cette rencontre est un dialogue très libre et ouvert, lié au spectacle ou plus spécifiquement à la carrière et au métier du chanteur, en fonction de la personnalité de l’artiste et de ce qu’il a envie de livrer. En général, les artistes se prêtent bien au jeu. D’ailleurs, des lieux de plus en plus nombreux proposent des projets éducatifs qui deviennent partie intégrante des activités d’un théâtre. Il y a donc plutôt un bon accueil de la part des artistes, qui savent que nous sommes à l’origine de ce genre d’activité et en ont entendu parler par la production.
 
MCEI : Les dossiers pédagogiques sont-ils élaborés en fonction du projet ?

L. K. : Non, nous ne créons qu’un seul dossier par spectacle concerné, il s’agit d’un dossier de documentation, il n’est pas conçu pour être réutilisé comme une séquence de cours. L’idée est que les enseignants puissent y piocher ce qui les intéresse. Il est donc composé d’une variété d’informations choisies, historiques, littéraires ou musicales, afin de permettre à chacun de nourrir son projet.
 
MCEI : Comment l’information au sujet de ces projets circule-t-elle ? Les professeurs vous sollicitent-ils directement ? Travaillez-vous avec le service presse ?
 
L. K. : Nous avons un partenariat avec l’Académie de Paris, qui est notre principal relais. Une réunion de présentation de la saison suivante a lieu au mois de mai. Nous remettons alors aux enseignants une fiche de présentation par spectacle. Il arrive aussi que des professeurs qui souhaitent participer au programme nous appellent en cours d’année après avoir visité le site internet.
Nous travaillons avec le service presse uniquement pour les évènements qui s’adressent au public normal payant, pour les concerts du dimanche matin par exemple. Mais il y a toujours une présentation qui rend compte de nos activités dans le dossier de presse de saison.

MCEI : Et est ce que votre sélection de pièces est plutôt pré-orientée à destination des jeunes ?

L. K. : Nous choisissons ce qui nous semble le plus adéquat mais différents paramètres rentrent en ligne de compte, dont les paramètres financiers. C’est une discussion qui a lieu avec le service des relations publiques, au niveau du Secrétariat Général, pour savoir quels sont les spectacles et les soirées que nous pouvons ouvrir aux jeunes. Nous essayons généralement de choisir des productions de la maison, c’est une obligation financière.

MCEI : Pouvez-vous nous parler des différents projets mis en place ?

L. K. : Outre cette école du spectateur, nous proposons des projets spécifiques axés sur la pratique artistique. Il y a quelques années nous avons mis en place les « lectures ». Nous offrons ainsi la possibilité à des classes particulièrement motivées d’effectuer un travail plus approfondi avec des artistes, en général un metteur en scène ou/et un musicien, ce qui permet un véritable travail de sensibilisation aux œuvres, à l’espace scénique et à la pratique artistique. Les élèves assistent à une représentation et proposent ensuite un spectacle d’une vingtaine de minutes, miroir d’un ou deux thèmes trouvés dans l’œuvre, qu’ils montent ensemble en créant les textes et/ou la musique. Le Châtelet finance l’intervention des artistes en classe et leur travail est montré lors d’une représentation aux parents ou aux collègues enseignants dans un des foyers du théâtre. Les élèves ont ainsi la possibilité de sortir du contexte quotidien et de découvrir un lieu de représentation, ce qui a un impact indéniable tant sur leur comportement que sur leur conception du spectacle.
Nous organisons des projets participatifs tous les deux ans, notamment autour du chant choral pour les classes des écoles primaires de la ville de Paris. Les thèmes sont très variés, parfois liés à une œuvre de la saison, s’intitulant par exemple : « Au pays d’Offenbach », « Berlioz et Broadway », « Autour de l’Espagne », « Les enfants du Bonheur », etc. Cette année le projet « Polar » regroupe huit classes de CM1/CM2. Nous faisons appel au chef de chœur Didier Grojsman, qui dirige le C.R.E.A (centre d’éveil artistique créé en 1987 à Aulnay sous Bois), et à Anne Marie Gros, metteur en scène. Ensemble, ils ont inventé scénario et intrigue dans lesquels s’intègrent des chansons sur le thème du polar. Les enfants seront accompagnés de trois musiciens de jazz. En lien avec la programmation au Châtelet, ils ont intégré un chœur de la Mélodie du Bonheur à leur création. Ce sont des projets d’assez longue durée : cette saison a débuté au mois de novembre avec les répétitions de Polar, et la représentation aura lieu au mois de juin.
 
MCEI : Et qu’en est-il de votre deuxième activité, celle à destination des familles ?

L. K. : C’est notre dernière activité en date. Ce sont les Concert tôt (11h) et les Concerts Tea (17h) qui sont apparus l’année dernière. Ils remplacent les concerts du dimanche matin et se veulent porteurs d’une « identité Châtelet ». La première année était un partenariat exclusif avec le Conservatoire de Paris et seuls les étudiants du CNSM se produisaient selon un mot d’ordre : éclectisme, en accord avec l’esprit de la programmation de Jean Luc Choplin. Il y avait du jazz, du classique, du baroque, du cirque en musique. Le défi de ces concerts du dimanche est le choix d’un partage familial : le spectacle est destiné aussi bien aux enfants qu’aux parents. Le concept est un succès, notamment grâce à un tarif accessible (10 euros par adulte, 5 par enfant). Jean Luc Choplin a mis en place un accès gratuit pour des familles défavorisées. Nous travaillons donc avec des associations, afin de faire connaître notre démarche à ces publics. Le principe du mélange des publics est particulièrement séduisant. Toute hiérarchisation des publics s’en trouve gommée car le placement est libre, ce qui participe aussi de l’ambiance familiale de la salle, renforcée par le grand nombre d’enfants présents.
Nouveauté cette année également en direction des familles : comme pour les publics scolaires, nous organisons des ateliers de pratique artistique en amont des spectacles. Par exemple, avant les concerts nous proposons un atelier de chant sous la direction du chef de chœur américain Scott Alan Prouty, qui travaille aussi bien sur la voix que sur l’expression corporelle. Les ateliers sont toujours complets, les adultes trouvant leur compte tout autant que les enfants.
Autre information importante, le Châtelet fait partie du réseau européen RESEO qui regroupe une cinquantaine de membres. Les premiers ateliers ont été réalisés en partenariat avec le festival de Glyndebourne, qui nous a fait bénéficier de son expérience, grâce à RESEO.

MCEI : Quelles actions menez-vous en direction des étudiants ?

L. K. : Tout d’abord il existe des tarifs préférentiels pour vous les étudiants. Ensuite, plus précisément, nous sommes associés dans des partenariats avec de nombreuses universités parisiennes, avec lesquelles nous travaillons dans la cadre de cursus spécialisés dans la musique ou l’opéra. Par exemple, actuellement un cursus d’anglais de Paris 4 travaille sur Sound of Music. Notre but est de faire comprendre le processus de création d’un spectacle aux étudiants, grâce aux visites des dispositifs scéniques, à des rencontres avec des artistes ou des professionnels et en les autorisant à assister à différents états de répétitions. Cela permet aux jeunes de voir comment cela se passe en pratique après avoir étudié l’œuvre ou la comédie musicale d’un point de vue plus théorique.

MCEI : Quelles sont les compétences essentielles nécessaires pour un(e) responsable pédagogique ?

L. K. : A brûle pourpoint je dirais qu’il en faut trois : d’abord des compétences intellectuelles et artistiques pour comprendre les spectacles sur lesquels on va travailler, ensuite des compétences organisationnelles et gestionnaires et enfin des qualités en termes de relations humaines. Il faut être généreux, avoir envie de partager avec les gens, qu’ils soient proches ou lointains. Par exemple, certains collégiens, éloignés du monde du théâtre à l’origine, trouvent des portes d’entrée dans la vie professionnelle, soit par les techniques soit par les métiers qu’ils ont pu découvrir grâce à nos services. Je crois en l’utopie de partager la culture !

MCEI : Cette utopie de partager la culture, elle rentre également dans le processus de démocratisation de la culture ?

L. K. : En effet, l’un des avantages du public captif (public scolaire) est la création d’une forme de démocratisation. Même s’il peut sembler utopique de faire découvrir le Châtelet à toutes les classes sociales, nous pouvons au moins dire que tous les arrondissements de Paris sont représentés par les enfants qui viennent, dont certains appartiennent à des catégories sociales peu habituées à ce genre de loisir. Il en va de même avec les spectacles familiaux : l’éclectisme des spectacles amène un public peut-être moins régulier, mais plus large et plus diversifié. Certaines personnes reviennent, mais nous avons de plus en plus de nouveaux publics, attirés par le bouche à oreille. En général, ce sont des gens qui cherchent des activités à faire en famille, avec leurs enfants, et ils trouvent au Châtelet un compromis entre culture et divertissement, avec des spectacles qui ne nécessitent pas d’être averti ou connaisseur.

MCEI : Comment réagissent les enfants ?

L. K. : Généralement ils sont contents. Il se peut aussi qu’ils n’apprécient pas l’opéra ou la comédie musicale. L’important reste qu’ils aient eu l’occasion de découvrir le Châtelet, de savoir que ce type de lieu existe, qu’il n’est pas réservé à d’autres, que l’argent n’est pas nécessairement un obstacle intégral, que la culture est accessible à tous.


Propos recueillis par Soria Dworjack et Lucile Margot.

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