Stéphane Guillon et Gaspard Proust ont en commun de faire rire ou de faire grincer des dents. Humour noir oblige. Au Théâtre Antoine, dans la pièce de Katherine Kressmann Taylor, mise en scène par Delphine Malherbe, ils se complètent puis se haïssent. Ils sont Martin et Max.

Depuis janvier 2012 au Théâtre Antoine, les dix-neuf lettres de l'auteure américaine sont lues par de célèbres comédiens et humoristes. Un concept qui a le mérite d'attirer tout type de spectateurs, du plus novice au plus averti. Martin Schulse et Max Einsenstein sont amis. Martin a eu une liaison avec Griselle, la sœur de Max. Les deux amis se séparent, l'un part pour l'Amérique, l'autre reste en Allemagne. Puis Martin se marie avec Elsa. Les deux hommes s'écrivent. Ils se souviennent des tendres moments passés ensemble. Ils sont nostalgiques parfois. L'un raconte les affaires qui entourent sa galerie d'art, l'autre la douceur d'avoir une femme et d'être père. Ils finissent par se détester. Une histoire d'amitié banale ? Pas vraiment.

Martin est allemand, Max est américain d'origine juive. La première lettre est rédigée le 12 novembre 1932, la dernière est datée du 3 mars 1934. L'évolution de la relation semblera rapide et brutale pour ceux qui ont oublié les tragiques épisodes de l'histoire allemande. Pourtant, à l'époque, si en France l'antisémitisme et les idées nazies sont encore à l'état latent, en Allemagne, Hitler, élu démocratiquement, fait basculer le pays en un état totalitaire.

Martin, interprété par Stéphane Guillon, est comme beaucoup d'autres Allemands : il ressent la montée du chômage, il est témoin des combats de rues et des manifestations, et il se rappelle de l'impitoyable Traité de Versailles. Puis arrive Hitler. Le ton change. Martin s'éloigne, il fuit son ami, il proclame d'abord hésitant puis jubilant « on a trouvé un guide ». Il n'aide pas Elsa, devenue comédienne à Berlin, comme Max le lui avait demandé. Elle meurt. Max se venge.

La mise en scène est minimaliste : deux bureaux, deux chaises, un tableau et quelques déplacements. À rebours, les silences entre les lectures des deux comédiens sont éloquents et efficaces. Malgré quelques erreurs de diction, c'est un sans faute pour Stéphane Guillon qui démarre son jeu lentement pour finir en beauté. Quant à Gaspard Proust, il débute très bien le texte en accentuant les passages drôles des lettres mais se montre un peu moins habile dans la deuxième partie quand il faut émouvoir. Néanmoins la puissance du texte subsiste et invite le spectateur à s'interroger : La vengeance est-elle la seule réponse ? Peut-on pardonner ? Comment comprendre la période fasciste vécue par l'Allemagne ? La faute à qui ? Après une heure de spectacle, on cherche encore les réponses. Pourvu, en tout cas, qu'on continue à se poser des questions : devoir de mémoire oblige.

Florence GA

Inconnu à cette adresse, du 6 novembre au 1 décembre à 19H, avec Jean-Paul Rouve et Elie Semoun, Théâtre Antoine, 14 boulevard de Strasbourg 75010 PARIS, www.theatre-antoine.com

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