Plongée au pays des songes et du soju
mer, 11/07/2012 - 18:02 | Ajouter un commentaire
À l’occasion de son treizième long-métrage, Hong Sang-Soo s’essaie à l’écriture du conte et à sa forme brève. In Another Country se compose de trois histoires courtes. Au cœur de ces trois récits : Anne (Isabelle Huppert), une Française en visite dans la paisible station balnéaire de Mohang-Ni en Corée du Sud. Comme dans ce rêve étrange de Verlaine : elle n’est, chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre.Une première Anne ouvre le bal. Cinéaste française, elle retrouve son confrère coréen, Jong Soo, homme marié avec lequel elle a, un jour, échangé un baiser. Une autre lui succède : femme adultère, celle-ci profite du voyage d’affaire qu’effectue son mari à Séoul pour s’offrir une rapide escapade avec son amant, un coréen célèbre. La dernière, elle, incarne une femme divorcée accueillie chez une amie après s'être vue désertée par son mari.
À ce décor de bord de mer plongé dans la torpeur et baigné de gris, le personnage d’Anne apporte une note de chaleur et d’exotisme. Avec sa chevelure rousse et son accent charmeur, l’étrangère au cœur instable éveille les esprits curieux. Elle fait naître des désirs, des jalousies, des critiques, des craintes, des amours. Dans ce film à sketchs où répétitions et variations donnent le tempo, le ton semble badin et le regard amusé. À cet effet, il faut saluer les performances d’un Yu Junsang génial en maître-nageur loufoque et étonnant de cocasserie et d’une Isabelle Huppert toute en nuance et en finesse. En effet, l’alliance de leurs jeux offre au film ses séquences les plus drôles et les plus lumineuses. À tel point qu’une certaine frustration s'éveille en nous chaque fois que la caméra les quitte.
Une fois encore, Hong Sang-Soo filme les frasques et les déboires de ses congénères. Les triangles amoureux se multiplient et révèlent, comme dans La Vierge mise à nu par ses prétendants (2000), des hommes lubriques, égarés, souvent ivres et maladroits qui se disputent les faveurs d’une femme sans trop savoir pourquoi. Car le regard porté sur les personnages est aussi délicieusement cruel. C’est en cela que le film fait rire. Usant du procédé d’ironie dramatique, le réalisateur s’amuse à placer son spectateur dans la position d’un voyeur prenant activement part à la moquerie. Aussi participe-t-il un peu de la mesquinerie de l’épouse de Jong Soo alors que celle-ci profite de la barrière linguistique pour dénigrer Anne en sa présence. Scénariste marionnettiste, Hong Sang-Soo imagine finalement des pantins tragi-comiques mimant l’incommensurable complexité des relations humaines et l’impossibilité d’une véritable communication entre les êtres. Humain trop humain, chacun reste seul, incapable d’avoir pu considérer celui qui se trouvait près de lui. Pourtant, de bout en bout, légèreté et fluidité prédominent le tableau. Peut-être parce que, comme le souligne son auteur : « Rien n’est figé. Si bien qu’on peut donner beaucoup d’interprétations différentes. » (Cahier du cinéma, n° 682.)
Alors, In Another Country, film mélancolique ou gai ? Absurde ou réaliste ? Doux ou féroce ? Ou peut-être un peu tout cela à la fois ? À vous de juger.
Elsa R.
Drame réalisé par Hong Sang-Soo (2012) avec: Isabelle Huppert, Yu Junsang, Yumi Jung, Hyehyo Kwon, Sungkeun Moon. Durée: 89 mn.