On a du mal à le croire, mais novembre rime avec photo... Tous les deux ans, galeries, musées et lieux culturels nous font découvrir ou redécouvrir le 6e art et ses acteurs lors du Mois Européen de la Photographie. Un projet lancé en 1980 qu’honorent une dizaine de capitales. Paris n’y échappe pas. C’est à cette heureuse occasion que la BNF propose un retour sur l’œuvre expérimentale et avant-gardiste d’Etienne Bernard Weil (1919-2001). Au croisement des langages, Vertige du corps nous invite à suivre la réflexion qu’il mène sur l’énergie du corps : comment introduire le temps dans l’image ?  Magie du mouvement…

Entrée en matière : quatre clichés en noir et blanc des mains de la danseuse Muriel Jaër nous accueillent telles des ombres chinoises en suspension. Il s’agit d’une série de 1979, « Chant silencieux ». Le ton est donné, Etienne Bernard Weil ne s’effraie pas du paradoxe. Bien au contraire, il le cherche, le distord, et l’épuise, motivé par une quête de l’instant privilégié où la vie pénètre dans l’image, « ce peut être un moment d’équilibre, mais très souvent, c’est un déséquilibre » note-il.

Après avoir exercé ses talents au service du reportage social au lendemain de la guerre, Weil se tourne vers la scène parisienne et s’intéresse particulièrement à l’art du mime aux côtés d’Etienne Decroux et de Marcel Marceau. C’est paradoxalement encore - on était prévenu - parmi les séquences de poses fixes de Decroux et de ses élèves que la suggestion du mouvement au sein de l’image figée se concrétise pour la première fois. Et ce, notamment grâce à la superposition de négatifs. Cette technique lui permet en outre de réaliser en une seule image la synthèse d'un spectacle en fusionnant les moments les plus significatifs de la représentation. Tel le montage Baptiste, à partir de la pantomime de Jacques Prévert mis en scène par Jean-Louis Barrault, celui du Partage de Midi, ou encore la séquence des Arbres de Decroux. Atmosphère évanescente et fabuleuse, corps en suspension… vertige.

Tout au long de la rectiligne allée Julien Cain, on suit progressivement la réflexion artistique de Weil. Ses travaux avec les danseurs et comédiens Jaër, Béjart, Bara, et Barrault, laissent place à des formes visuelles de plus en plus immatérielles et abstraites. La couleur fait son apparition, les corps s’estompent… Apparaissent les premières métaformes. À la danse des corps succède la chorégraphie de la lumière. Ces suites cinétiques de métaformes, ou « musique pour les yeux » comme les appelle Maurice Fleuret, sont l’aboutissement de son parcours. La synthèse entre les diverses formes d’expressions : musique, danse, théâtre et photo se réalise, et Weil de caresser l’utopie de l’art total. C’est l’essence même de la photographie qu’il bouscule en préférant l’événement à la reproduction statique. La photo ne fige plus. Elle danse.

« Peintre ou photographe, abstrait ou figuratif, tout plasticien a le même problème : montrer non la chose, mais son signe le plus juste. » Saisir un état et non un être, l’émotion d’un corps en déséquilibre, laisser la possibilité à celui qui regarde d’hésiter encore… L’image chez Weil a des airs de poésie.
 
Marion D.
 
Vertige du corps ; Du 16 septembre au 18 novembre 2012 ; BNF site François Mitterrand, Allée Julien Cain ; Entrée libre ; Le 15 novembre, au petit auditorium, une soirée « Musique pour les yeux » propose des projections de suites cinétiques de métaformes accompagnées de musiques de Bartók, Beethoven et Stockhausen.
 

Répondre

CAPTCHA
This question is for testing whether you are a human visitor and to prevent automated spam submissions.
3 + 1 =
Solve this simple math problem and enter the result. E.g. for 1+3, enter 4.