Qui se serait douté qu'un petit théâtre au cœur du 10e arrondissement ouvrirait grand ses portes sur l'Enfer ?

Trois fauteuils et une statue en bronze. Voilà la salle de torture, le huis clos, des trois protagonistes de l'histoire. Joseph Garcin, Inès Serrano et Estelle Rigault sont morts. Ils s'attendent aux broches et aux flammes, mais il n'en est rien. Car pour Jean-Paul Sartre, « l'enfer, c'est les autres ». Et comme le devine très vite Inès, chacun d'eux est un bourreau pour les deux autres. Joué par Thibault Truffert, Joseph Garçin, fondateur d'un journal pour la paix à Rio, est mort fusillé après avoir déserté. Hanté par sa dernière action, il refuse d'être considéré comme lâche et cherche, à travers le regard des deux femmes avec qui il doit cohabiter, une reconnaissance de ses convictions pacifistes et de son courage. Ni l'une ni l'autre ne veut, ou ne peut, la lui accorder. Interprétée par Joyce Franrenet, Inès, femme homosexuelle qui a poussé le mari de son amante à se suicider, prend plaisir à torturer ses camarades, à les séparer. Estelle, enfin, femme infanticide jouée par Maud Vincent, cherche le regard du seul homme de la pièce, Garcin : elle est incapable de vivre sans être aimé.

Les acteurs sont très jeunes et donnent à la pièce une nouvelle fraîcheur. Mise en scène par Joyce Franrenet, Huis clos cherche à rester fidèle à l'intention de l'auteur qui voulait avant tout fait rire. Si la pièce garde une atmosphère angoissante, les acteurs parviennent de temps en temps à nous faire sourire franchement. On pense au personnage d'Inès qui, ne supportant pas de voir Garçin et Estelle enlacés, commence à chanter : « Moi je connais une chanson, qui énerve les gens... ». Mais ce ne sont que de très brefs moments de relâchement dans une intrigue redoutable et assez sombre. La jeune metteuse en scène joue du sadisme et du caractère funèbre de la pièce. Le coupe-papier apparaît dans un halo bleu dans la première scène, annonçant la fin sinistre. L'affiche met également en avant un garçon d'étage vampirique, à l’œil noirci d'une cicatrice. Choix discutable, puisque le personnage est finalement peu présent et peu représentatif de l'ensemble de la pièce au final.

Le point fort de la pièce réside dans le jeu des acteurs. Chacun s'est revêtu du personnage à sa façon. Thibault Truffert, élancé, cadavérique, donne à Garçin un air maladroit, une anxiété cachée sous un voile de courtoisie. Maud Vincent, dans le rôle d'Estelle, est exquise ! Petite bourgeoise égoïste qui ne prend pleinement conscience de sa mort qu'à la fin de la pièce, elle s'esclaffe, pleure, séduit, continuant de vivre dans la mort, perturbée seulement par la couleur horrible des fauteuils et l'absence de miroir. C'est un des personnage les plus drôles car l'actrice l'interprète en frôlant presque la caricature. Le personnage d'Inès est le plus dur à cerner : cynique, froide, méchante, elle dirige l'intrigue vers sa tension maximale. Dans l'ensemble, le jeu des acteurs ose les extrêmes, glisse du fou rire nerveux à la folie meurtrière. On bouge peu dans cette petite pièce, mais quand la parole ne suffit plus pour blesser, les corps sursautent, bondissent. C'est d'ailleurs l'issue du spectacle : un saut féroce d'Inès, qui s'estompe dans le noir final.

La pièce, qui a déjà plus d'un an, a connu un vif succès au festival d'Avignon Off en Juillet. Dans la petite salle du Théâtre Laurette, où les spectateurs sont littéralement collés à la scène, les rapports entre le public et les acteurs sont beaucoup plus forts. À même la scène, dans la scène, le spectateur devient presque acteur et s'interroge lui aussi sur les questions existentialistes de Sartre. Quand les lumières se rallument, que les regards entre spectateurs se croisent, notre voisin n'est plus qu'un autre, notre propre enfer.

                                                                                                         C. L.

Huis clos de Jean-Paul Sartre, mis en scène par Joyce Franrenet, avec Joyce Franrenet, Thibault Truffert, Maud Vincent, et Tanguy Mendrisse, au Théâtre Laurette, tous les mercredis soirs à 21h30, jusqu'au 19 décembre.

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