En plus d’être navigateur, explorateur, ethnologue, esquimologue et accessoirement chasseurs d’ours, Jørn Riel est aussi un formidable ‘‘raconteur’’. En 1950, il s'engage dans une expédition scientifique au Nord-Est du Groenland (Lauge Koche). Ces seize années de vie dans le Grand Nord lui inspirent une œuvre autobiographique, Une vie de racontars (1991), dont les éditions Gaïa publient enfin la traduction du premier tome. Quêtes d’aventures, rêves d’ailleurs, premières épreuves…d’une plume joueuse et légère, Riel nous livre « des racontars d’une vie de voyages, ou, peut-être, un voyage dans une vie de racontars…» Frissons garantis !

De l’aventure au conte ou du conte à l’aventure, selon Riel, tout n’est que « désir de voyage ». À l’origine de ce désir ? Fantasmes d’un autre monde, mouvements vers l’inconnu, mais aussi des histoires, des anecdotes…celles d’un père sculpteur-ébéniste fasciné par l’Afrique. Chaque fois que ce dernier raconte, le déplacement onirique opère. Pourtant, le jeune garçon sait alors pertinemment « qu’il n’est jamais allé plus loin que la ville suédoise de Malmö. » Des affabulations donc ? Peu importe, puisque ces histoires « sont si fantastiques ». Comme le suggérait si bien Pierre Mac Orlan dans son Petit manuel du parfait aventurier (1951), l’aventure « n’existe pas. Elle est dans l’esprit de celui qui la poursuit ». Voyager, raconter, écrire, lire…un seul et même périple. L’embarcation, pour nous, est immédiate.


Expédition fantasque vers la jungle africaine imaginée aux abords du Fjord d’Odense, détour dans la Ville Lumière : les premières expériences ont des allures de « mission secrète ». Les visites de la section Ethnographie du Musée national à Copenhague donnent un nouvel horizon au grand départ. Cap sur le cercle polaire ! Ce monde « étranger et sauvage » auquel le jeune homme aspire dès son plus jeune âge, le Groenland lui en offre l’expérience ultime. Sur cette terre infinie, les hivers défilent sous l’obscurité et la glace. Le temps semble s’être arrêté, sa mesure réelle est celle de l’éternité. L’esprit s’ouvre un peu plus chaque jour : « Au nord du cercle polaire, on développe au fil des années une ouverture d’esprit peu commune à l’égard de la vie et de la mort, et chaque sensation ou évènement est placé sous une loupe pour le grossir le plus possible. » Mésaventures, premiers émois, découverte de l’Autre, de ses rites, de ses croyances et de ses mythes, rythment cette incroyable odyssée.

On reconnaît, à travers les descriptions et diverses historiettes mettant en scène l’art de vivre des Inuits, un esprit curieux, humble et attentif. C’est chaque fois avec un agréable étonnement que Riel semble découvrir les coutumes et savoirs faire de ses amis autochtones. Le ton est toujours juste, un brin décalé : ces racontars n’en sont que plus enchanteurs. Les personnages hauts en couleur, sortes d’anti-héros magnifiques, nous touchent par leur profonde humanité. L’auteur ne maquille pas son attendrissement lorsqu’il les évoque. Le plaisir du texte enfin tient certainement à cette simplicité qui se dégage de l’ensemble. Point d’effets de langages ou d’associations d’images fortuites si ce n’est pour partager une joie, un bonheur : celui de se souvenir et de raconter. Récit initiatique, carnet de voyage, livre d’images, Une vie de racontar, c’est avant tout un bel hommage rendu au peuple et à la vie arctique.
 
L'heure du départ approche pourtant, notre héros rêve de s'envoler vers le sud : "là où le jour et la nuit alternaient toute l'année, où les arbres étaient grands et verts et où le nez ne gelait pas dès l'instant où on le mettait dehors." Par chance, la série des "Racontars arctiques" regorge d'autres aventures polaires...à ne pas manquer. 

Elsa R.

Une vie de racontars, de Jørn Riel, traduit du danois par Andréas Saint Bonnet, Gaïa Editions, octobre 2012. 

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