Il y a de ces œuvres théâtrales dont on ne se lasse pas, au point même d’en faire des films, et les pièces de William Shakespeare ne dérogent pas à la règle. 

Le cinéma les adapte et les adopte : à peine inventé, le grand écran s’approprie Le Roi Jean en 1898 pour promouvoir un spectacle à Londres. Dès lors, les adaptations, réécritures et autres s’enchaînent et font la notoriété de nombreux réalisateurs tels que Mario Caserini (notamment réalisateur des Derniers jours de Pompei, 1913), par exemple.
Ces films présentent des avantages : ils permettent de viser un public plus large et de rendre la culture accessible à tous, d’éviter les contraintes techniques propres à la scène (on pense ici à celles qu’impliquent les changements de décors dans un espace restreint) ou encore d’ajouter des effets spéciaux.

Le Roi Lear, tragédie en cinq actes rédigée entre 1603 et 1606, ne compte pas moins de quatorze adaptations cinématographiques à son actif, de 1934 à 2009.
On peut citer la version de 1971 de Peter Brook , réalisateur et homme de théâtre anglais, amateur des œuvres de Shakespeare car il dirigera également Hamlet en 2002. Plus récemment, Joshua Michael Stern adapte à son tour Le Roi Lear en 2009 pour le cinéma. Le roi y partage son royaume entre ses filles, interprétées par les actrices Keira Knightley, Gwyneth Paltrow et Naomi Watts.
On trouve également quelques téléfilms, comme le King Lear de 1953 réalisé par Andrew McCullough, avec Orson Welles (célèbre réalisateur de Citizen Kane, 1941), ou encore la captation de l’écossais Don Kent, réalisée à Paris en 2007 et tournée aux Ateliers Berthier (théâtre de l’Odéon délocalisé) où se donnait la pièce dans une mise en scène d’André Engel. Elle fut jouée dans la traduction française de Jean-Michel Deprats ; Michel Piccoli y tenait le rôle principal.
Mais la pièce de Shakespeare a été revisitée pour l’écran dans d'autres langues que le français ou l'anglais.

The Yiddish King Lear, pièce en yiddish de Jacob Gordin, représentée à New York en 1892, apparaît sur les écrans américains en 1934 grâce à Harry Thomashefsky, Jacob Gordin puisait dans l’œuvre de Shakespeare : David Moishele, riche marchand russe-juif du XIXe siècle, veut diviser son empire. Alors qu’il s’apprête à le faire, sa fille lui conte la tragique histoire du roi Lear pour l’avertir. Le marchand se retrouve en effet ruiné et tombe dans la folie. Ce film constitue comme un hommage au premier théâtre yiddish dont Boris Thomashefsky, père de Harry, fut un très grand acteur.
On trouve aussi la réécriture cinématographique du japonais Akira Kurosawa. Ran (rébellion, révolte), qui sort en 1985 et s’inspire du Roi Lear pour son intrigue : au XVIe siècle au Japon, Hidetora Ichimonji entreprend de partager son empire entre ses trois fils pour finir ses jours heureux et en paix. Mais les conflits entre ses fils plongent rapidement leurs foyers et la région dans le chaos. A noter : Ran remporte le BAFTA du meilleur film en langue étrangère en 1987.
Parfois c’est la simple approche qui paraît transformer la pièce. Korol Lir, œuvre cinématographique du cinéaste russe Grigori Kozintsev, naît en ex-URSS en 1971 et se diffuse en France en 1974. L’estonien Jüri Järvet y interprète le roi Lear. Selon le critique Philip Kemp, Korol Lir s’inscrit dans une lecture marxiste de la pièce mais sans altérer ou endoctriner le texte de Shakespeare pour autant. Grigori Kozintsev termina sa carrière sur deux adaptations filmiques de Shakespeare (la seconde étant Hamlet). Encensé par la critique, Grigori Kozintsev sublime le Roi Lear au cinéma.

De la pièce originale de Shakespeare aux multiples adaptations cinématographiques en passant par des approches ou scénarii de réécriture - directement filmiques ou inspirés de réécritures dramatiques antérieures - toujours plus innovants, l’art du maître du théâtre anglais séduit le cinéma et affirme le dialogue entre les arts.

F.E

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