Le violeur de papier

mar, 01/15/2013 - 14:24 | Ajouter un commentaire

En 2007, la villa Greiner de Strasbourg présente un nouveau musée : le Musée Tomi Ungerer. Pour la première fois en France, un musée est dédié à un artiste de son vivant. Rien d'étonnant lorsque l'on connaît l'envergure internationale et le talent de l'artiste en question. Plus puissant, plus émouvant et plus vivant que le musée, le film Tomi Ungerer, l'esprit frappeur de Brad Berstein nous raconte le parcours de l'illustrateur, un homme de génie. Une fascinante histoire dans l'Histoire.

Tomi Ungerer souriant et sympathique nous dévoile dans un anglais avec un léger accent français les moments clefs de sa vie : de son enfance en Alsace à son arrivée dans le West Cork en Irlande, en passant par ses heures de gloire et de doute dans les Etats-Unis des années cinquante sans oublier les quelques années passées en Nouvelle Ecosse au Canada. Tout au long du film, on découvre un dessinateur en quête d'identité. L'homme polyglotte revient sur son enfance traumatisante provoquée par la perte de son père et par la Seconde Guerre Mondiale. Dès le plus jeune âge, il perd ses marques et son identité : il se dit alsacien dans la rue, français à la maison et allemand à l'école. Une période d'angoisses et de peurs qui inspirera à tout jamais ses dessins et ses envies.

Le film retrace très habilement la carrière du vieil homme : dessinateur critique et politique pour des journaux américains, illustrateur pour des posters militants, auteurs de livres d'enfants et de livres érotiques. Tomi Ungerer a eu ce courage de jouer sur tous les fronts, même si cette audace lui a joué des tours. En effet, les Etats-Unis le critiquent vivement après l'avoir mis sur un piédestal : pendant plus de vingt ans, les livres de Tomi Ungerer sont interdits aux Etats-Unis. Mais rien n'arrête le génie : il se fait briseur des mœurs, transgresse le respectable et propose de nouvelles lectures aux enfants plus choquantes et perturbantes que celles proposées à l'époque. Pour le dessinateur, l'enfant doit être d'une certaine manière traumatisé pour qu'il puisse vaincre ses peurs. Pétillant malgré son âge et plein d'humour, le dessinateur nous expose sa collection de barbies pour démontrer la puissante force artistique de l'érotisme et ironise en expliquant que dessiner, c'est violer le papier...

Le spectateur est transporté avec intelligence sur la traversée de l'illustrateur dans un XXe siècle qui a façonné ses nombreuses sources d'inspirations : la peur de la guerre, la colère, l'identité et l'érotisme. Si l'auteur de Jean de la Lune et des Trois Brigands marque autant les esprits aujourd'hui, c'est parce qu'il a eu cette volonté de mélanger les genres et de transgresser les tabous. Emu par le destin des minorités comme celui des Irlandais, il a trouvé en Irlande la tranquillité et la terre de repos qui lui a manqué pendant toutes ces années comme le montrent les très belles dernières images du film. En définitive, à l'instar de l'œuvre de Tomi Ungerer, ce documentaire troublant, touchant et émerveillant frappe assurément les esprits.

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