Désirs de bas-fonds

lun, 07/01/2013 - 18:55 | Ajouter un commentaire

Des lieux : bouges, cours des miracles, asiles de nuit, bagnes.
Des individus : mendiants, voleurs, assassins, prostituées, prisonniers, bohémiens.
Des états : la misère, le vice et le crime.
 « Où est donc la séduction dans tout cela ? », s’interrogeait déjà Charles Dickens.

Dénicher les pièces manquantes de ce puzzle que constituent les bas-fonds afin de mieux comprendre leur système de représentation : voilà l’ambition de cette considérable et foisonnante étude aux allures d’enquête et de voyage. Voyage immanquablement urbain. De la Bocca de Buenos Aires à la Casbah d’Alger en passant par Londres, New York ou Paris : partout, de mystérieuses « contre-sociétés » s’organisent. Toujours les mêmes visages, les mêmes topographies. Des zones « reléguées », sans cesse moralisées.

Voyage dans le temps aussi. En effet, l’histoire des bas-fonds est plus longue qu'on ne l'imagine. Si le XIXe siècle constitue un tournant dans leur acception, désormais sociale et visant la plus haute cohérence, les réalités existaient déjà bien avant. Deux étapes importantes précèdent ce phénomène : « l’invention du concept du ''mauvais pauvre'' au début du XIIIe siècle, pour désigner la troupe alors grandissante de mendiants et de vagabonds, et celle de la gueuserie au tournant du XVe et XVIe siècles. »

Avec l’intensification de la peur sociale naît une « exigence lexicale » nouvelle, soit un besoin croissant de classer, d’organiser, de hiérarchiser. Les nommer, c’est déjà les figurer. À partir du XIXe siècle, nous aurons donc nos bas-fonds, représentation que littérature, illustration, photographie et cinéma n'ont cessé d'alimenter et de populariser. Le grand Londres dickensien révèle quant à lui « the underworld » et ses slums  (« endroit dans lequel surviennent de basses embrouilles »). Sans oublier bassi fondi italiens, bajos fondos espagnols et l’unterwelt allemand. Un phénomène transnational donc, toujours plus diffus. Penser ses marges pour mieux les contrôler...
Le regard, comme le souligne l'auteur, "se veut" panoptique. Il s'agit bien de percer à jour les agencements d'un “système, dynamique, de représentations du monde social, une sorte de répertoire des figures et des identités collectives dont se dote chaque société à des moments donnés de son histoire’’. C’est là tout l’intérêt de cette étude : explorer les ressorts d'un « ensemble interactif », d’une fascination, afin d'en révéler les véritables enjeux et de démontrer de quelle façon les imaginaires sociaux "produisent et instituent le social" plus qu'ils ne le reflètent. Au-delà du discours dominant sur la misère et la transgression, un tout autre discours se fait jour : inquiet, normalisant, hiérarchisant. Une quête de l’ordre contre le chaos.

Pour autant qu’ils soient façonnés par un imaginaire social, ces destins n’en sont pas moins réels. L’auteur n’oublie pas de le rappeler. Faisant la lumière sur la fabrication d’un regard, Les bas-fonds, histoire d’un imaginaire, leur rend, à sa manière, un peu plus justice. 

Elsa R.

 

Répondre

CAPTCHA
This question is for testing whether you are a human visitor and to prevent automated spam submissions.
2 + 0 =
Solve this simple math problem and enter the result. E.g. for 1+3, enter 4.