"Cueille ta vie" / "Metraüme" : on a bien le droit de rêver !… Récit de la fureur et de l'isolement dans la vie urbaine
jeu, 12/12/2013 - 09:00 | Ajouter un commentaire
Cette année, le festival Nanterre sur Scène présente le spectacle Cueille ta vie, renommé Metraüme depuis janvier 2014 : une création du collectif NOSE (Nord Ouest Sud Est).
Cueille ta vie décrit avec poésie la fureur et l’isolement dans la vie urbaine. Le spectacle représente la rue et les transports en commun, théâtre de la société métropolitaine. Dans le métro, sur le trottoir, sur les quais du RER, les personnages se croisent et se heurtent sans se rencontrer, songent et s’observent dans l’attente ; enfermés dans le besoin de s’abstraire et de se protéger, étouffés contre la barrière qui les sépare de l’altérité.
Et alors ? Est-ce qu’on va au théâtre pour retrouver la laideur et l’ennui de la ville ? C’est que, exprimer la tristesse, la grisaille, représenter sur scène les tons pâles et froids de la folie, c’est déjà leur faire changer de visage, c’est percevoir autrement son environnement quotidien. Avec audace et habileté, Lucille Paquis met en scène la matière brute de la vie urbaine, dont on ne soupçonne plus le potentiel artistique.
On retrouve des personnages de tous les jours. Au rythme de plusieurs tableaux musicaux successifs, on observe leurs déplacements et leurs tics, caricaturés dans une hystérie mécanique. On redécouvre avec surprise des gestes anodins, si familiers qu’ils finissent par passer inaperçus. On ressent le vide et l’absence qui habitent notre quotidien. On entend des pensées fugitives et des clameurs exaspérées. On accède, enfin, à l’imaginaire de ces « lambda-extraordinaires », et subitement la scène passe dans le rêve. Dans un réalisme magique toujours en mouvement, l’amour, la plage, la campagne éclosent sur scène, puis s’échappent aussi furtivement.
Diverses impressions s’enchaînent avec des nuances bien marquées. L’adresse et la coordination des comédiens produit un ensemble organique et parfaitement synchronisé, exprimant avec éloquence le rythme de la fureur urbaine. Des moments lents, stagnants, alternent avec des passages bien plus dynamiques et saccadés ; les paroles introverties laissent la place à l’extraversion de la danse. Toujours, le spectateur est interpellé par des imitations frappantes de justesse, quelques détails familiers et insolites, un ordinaire soudainement inhabituel – car on ne voit jamais ça au théâtre.
Dans Cueille ta vie, le métro monte littéralement sur scène. Le spectacle nous rapproche de la réalité la plus banale, tout en libérant les forces de l’imaginaire que chacun de nous recèle derrière ses angoisses et sa fatigue, derrière ses mines graves et préoccupées. Cueille ta vie est un spectacle avant-gardiste. Non pas une avant-garde qui s'enfermerait, comme au siècle dernier, dans une négation idéaliste et intellectualisée de la culture existante, mais qui la renouvelle en donnant la parole au premier venu, reléguant habilement au passé l'art élitiste. La culture du XXIe siècle n’a d’avenir que si elle rompt le décalage qui la sépare encore du public, en exprimant les préoccupations les plus saillantes de notre société – si profondes dans notre quotidien qu'elles prennent l'apparence de la banalité. Le collectif NOSE parvient à extirper du minerai social la matière qui lui permet de renouer avec cette fonction première de l’art : susciter, établir ou rétablir un échange et une communication entre les individus, au-delà du conformisme et des codes d’ignorance qui gangrènent les relations humaines. Il ouvre ainsi la voie aux poètes de la rue, aux artistes du nouveau peuple – d’une culture en mouvement, d’un folklore cosmopolite.
Louis Gohin