Fallait-il ressusciter « Millénium » ?
lun, 10/12/2015 - 21:02 | Ajouter un commentaire
Onze ans après la mort de Stieg Larsson, David Lagercrantz fait revivre Lisbeth Salander et Mikael Blomkvist dans Ce qui ne me tue pas. Bon thriller ou suite illégitime?
La suite de la trilogie suédoise Millénium a été confiée au journaliste David Lagercrantz, connu pour être le biographe de Zlatan Ibrahimovic. Reprendre les héros cultes de la série vendue à plus de quatre-ving millions d'exemplaires dans le monde entier a été un véritable défi. Petite anecdote : pour éviter toute fuite, l'auteur a écrit avec un ordinateur qui n'était pas connecté à internet.
Surveillance informatique, lutte contre la NSA et journalisme d’investigation sont au programme de ce quatrième tome. Nous retrouvons le journaliste Mikael Blomkvist, ex-propriétaire de la revue Millénium qui vient de passer aux mains d’un groupe de presse privé. Alors qu'iln pleine remise en question quant à son avenir, un mystérieux coup de fil va emmener Blomkvist sur la piste de ce qu’il espère être un scoop pour sa revue. Le professeur Frans Balder, chercheur de pointe dans l’intelligence artificielle, a des informations sensibles à lui communiquer au sujet d’une agence de renseignement américaine. Il l’informe également qu’il est en contact avec une hackeuse surdouée. De nouveaux personnages vont être introduits au cours de leur enquête, comme un jeune enfant autiste ou encore une personne venant tout droit du passé de Lisbeth Salander.
L’auteur soulève donc des questions déjà présentes dans les trois premiers tomes, telles que la sécurité informatique, la place des femmes dans la société, le lien entre politique et mafia, et la critique de la psychologie de l’enfance. Mais il présente également des sujets très actuels comme la surveillance par les agences gouvernementales, l’évolution et le rôle de la science, ou encore le devenir du journalisme dans un contexte de crise de la presse écrite.
Tous les ingrédients semblent réunis pour constituer un bon polar, mais la sortie de ce livre a suscité de nombreux débats. Pourquoi faire revivre des héros après la mort de leur auteur ? Le phénomène n'est pas nouveau, et toujours d'actualité. En effet, cette rentrée a également été marquée par le retour du personnage emblématique d'Hugo Pratt, Corto Maltese, dans Sous le soleil de minuit, de Juan Diaz Canales et Ruben Pellejero. Entre volonté de faire revivre des personnages immortels et enjeux économiques, la frontière semble parfois mince. On se souvient que Stieg Larsson était décédé d’une crise cardiaque avant même la publication de ses livres. Sa compagne, Eva Gabrielsson, n’a jamais touché de bénéfices de la vente des romans puisque le couple n’était pas marié. Les ayants-droits sont donc le père et le frère de l’auteur. Ce sont eux, avec la complicité de la maison d’édition suédoise Norstedts, qui ont désigné David Lagercrantz pour faire revivre les héros de Larsson. Ils ont également décidé de reverser leurs royalties à Expo, la revue fondée par l’auteur décédé, qui présentait récemment des difficultés financières.
Malgré les polémiques autour de sa publication, le roman répond aux attentes d'un thriller. Construite autour de différents fils narratifs, l'intrigue est solide et l'enquête prenante jusqu'à la dernière page. Néanmoins, les fans des trois premiers tomes pourront être déçus des personnages qui perdent en authenticité. On ne reconnaît pas toujours Mikael Blomkvist dans sa relation avec Erika Berger, ni Lisbeth Salander dans certaines de ses réactions et parfois même dans sa description physique. Il est tout de même très agréable de retrouver ce duo atypique après plusieurs années d'absence. Cette suite nous permet également d'en apprendre plus sur le passé de la hackeuse punk. Le changement d'auteur se fait donc parfois sentir dans la psychologie et le comportement des héros, mais ce quatrième tome n'est en pas moins passionnant.
Mathilde Fouillet et Juliette Pacalet
Millénium 4: Ce qui ne me tue pas, par David Lagercrantz, traduit du suédois par Hege Roel Rousson, 496p., Actes Sud, 23€