Cela doit bien faire dix ans qu’on m’a invitée. « Laissez tout tomber, on va embarquer pour un pays  qui va vous enchanter, vous embéguiner. » Je me suis laissée tentée. C’est l’été et pourtant il fait froid. J’y vais seule. Rêve d’enfant, aujourd’hui j’ai rendez-vous avec le Douanier Rousseau. 


La capitale terne et pressée s’estompe à mesure que je me rapproche du musée, déjà j’entrevois ce jardin merveilleux. La chaleur se diffuse dans mon corps, est-ce l’enthousiasme, l’ambiance d’Orsay ou les peintures qui me font cet effet ? Je rejoins cette île perdue au milieu de l’océan de grisaille parisienne. Je pénètre cet écrin de verdure. 
 
Pour commencer, je vais saluer mon hôte, il pose fièrement devant un bateau pavoisé. Le bleu du ciel et les perspectives distordues me font tourner la tête. Est-ce une photographie ou bien une toile que j’aperçois au loin ? En m’approchant, je reconnais la patte de l’artiste. La végétation semble étonnement plus exotique que cette famille réunie pour La noce. La curiosité me pique lorsque j’aperçois des portraits de femmes, je ne connaissais pas ces oeuvres, je les observe sans m’attarder plus longtemps. Je ne suis pas sûre qu’elles me plaisent. D’un coup, je me retrouve nez-à-nez avec une fillette démesurée. Cet Enfant à la poupée m’était, lui aussi, inconnu. Mes yeux restent fixés sur son visage à la fois mélancolique et inquiétant, je ne sais si j’ai envie de la consoler ou de la fuir, mais attendez… il ne s’agit que d’un tableau ! Mon estomac se met à gronder lorsque j’entrevois ces natures mortes de fruits, si réalistes et appétissantes. La richesse et la précision des compositions florales me rappellent la végétation luxuriante des jungles que j’ai hâte de contempler. La Guerre me frappe de plein fouet, comment ai-je pu l’oublier celle-là ? Je sens presque l’odeur âcre qui se dégage de sa torche fumante, ce paysage sombre et désolé me noue la gorge. Les corps entassés, le cheval monstrueux, les corbeaux noirs, les nuages couleurs chair… le tout me donne l’impression d’une inquiétante étrangeté.
 
Le contraste est saisissant avec les tableaux qui suivent, le voilà le pays tant loué ! Je m’enfonce dans cette forêt tropicale, je distingue Ève et admire ce « soleil de feu caché dans les roseaux ». Maintenant, la nuit est tombée. « Au clair de la lune, dans la forêt endormie » je me laisse charmer, tout comme les serpents, par cette silhouette noire et énigmatique. Je parviens enfin à détourner mon attention de ce captivant tableau, mais aussitôt mon regard se pose sur la belle Yadwigha. Lascive et fabuleuse, j’ai presque oublié que c’est pour elle que j’ai accepté ce rendez-vous. Enfant déjà, elle me fascinait, et me voici enfin à la contempler. Sa présence est palpable, je m’approche et me recule pour être sûre de ne rater aucun détail. Il me reste la jungle sauvage à traverser, « des ombres félines se dessinent par magie », les animaux exotiques se cachent derrière les feuillages. Je suis éblouie par les couleurs éclatantes de ces toiles. Je reste longtemps à apprécier ces paradis dans une atmosphère presque fantastique, il me semble entendre le bruit de cette cascade et rugir un lion derrière moi. 
 
Il est alors temps de partir, je retourne sur mes pas pour dire adieu au Rêve. Je sors et retrouve Paris. Il fait froid mais le soleil s’est levé. Comme le Douanier, je suis déjà nostalgique de ce paradis perdu à la nature luxuriante.
 
Laureline Guilloteau.

Citations : « Vive le Douanier Rousseau » , La Compagnie Créole.

 

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