Bagdad, renaissance capitale

sam, 12/01/2012 - 20:00

Sur la place al-Firdous, mètre après mètre, une forme se dresse vers le ciel de Bagdad. Un édifice à l'architecture évocatrice, dont les lignes gracieuses ont quelque chose de poétique. De triomphant aussi : le pourtour en bronze du monument retrace la lumineuse histoire du " pays des deux fleuves ". Triomphant mais tellement poétique. 

Depuis que la statue de Saddam est tombée, depuis que le conflit du Golfe s'est décentré sur l'Afghanistan, depuis que les printemps arabes ont absorbé toute l'attention de la presse et de ses lecteurs... Que devient l'Irak ? On imagine un pays meurtri par les deuils de la guerre, paralysé après la démission internationale, rongé par les rivalités intestines entre chiites, sunnites et Kurdes, brisé régulièrement encore par les attentats... C'est une réalité. Une réalité seulement. Là où la politique échoue, l'art, bien souvent, trouve son champ d'expression, son chant de libération. Choisir Bagdad pour capitale culturelle 2013 du monde arabe, c'est rendre hommage au rôle essentiel de la Cité des Lumières – Madīnat al-Anwār – dans l’histoire des civilisations, c’est espérer qu’elle renaisse ainsi des cendres de son récent passé. Sous l’œil bienveillant de l’Aigle de Saladin, près d’une vingtaine de statues s’élèveront bientôt à travers la ville, souvenirs de ces figures – comme l’écrivain Kamel Shiaa ou la poétesse Nazek al-Malaïka – qui ont grandi l’Irak et se sont battus pour son renouveau. Un opéra, un théâtre viendront compléter cette ambitieuse entreprise qui panse les blessures de l'histoire, qui fait de la ville un point de rencontre du peuple irakien et de l'art un objet de rayonnement. 

Longtemps Bagdad a été confondue avec Babylone... Mais elle est Bagdad ; une cité à l'histoire plurimillénaire, un passé fait de califes et de marchands, de penseurs et de conquérants, une ville à la croisée des cultures. Plus de trois mille ans avant Jésus-Christ, cette vallée a été le berceau de l'écriture. Les berges du Tigre voient ensuite passer Hittites et Assyriens, et les empires achéménide et grec s'étendent successivement jusqu'à elles. L'Eraq sassanide – " bas Iran " – naît au IIIème siècle, Omeyyades puis Abbassides s'y installent, avant l'invasion arabe au VIIème siècle. Bagdad devient alors capitale, et à travers elle, le califat islamique irradie le monde de son avancée intellectuelle. Mais le Khan a encore foulé ce sol, et l'Empire ottoman après lui. Fruit de cette mosaïque, l'Irak est riche d'une diversité culturelle et religieuse exceptionnelle, mais il est aussi en proie à des tensions continuelles qui le minent. Un XXème siècle prolifique artistiquement – de Jabra Ibrahim Jabra, l'illustre écrivain, au peintre Jawad Salim, en passant par les architectes Midhat et Ali Madlhoom – est bien vite effacé par les guerres du Golfe. Demain à Bagdad, l'Irak doit renouer avec son éclatant passé, briller à nouveau.

Demain l'aube viendra et les roses se réveilleront 
Jeunesse et espoirs enchantés l'appelleront *

Un appel à l'avenir qui résonne dans les courbes monumentales de l'œuvre d'Abbas Gharib. Sur la place al-Firdous, en sus de la statue du dictateur déchu, elle se déploie telles les branches généreuses d'un palmier. Des dix-huit arches qui la composent – symbolisant les dix-huit provinces de l'Irak – à sa couronne dorée, fresque d'une glorieuse histoire, et jusqu'à la colonne intérieure, image de l'Irak " source d'illumination pour l'humanité entière ", tout s'harmonise pour donner à cette ode architecturale la forme d'une promesse. Les styles, abbasside ou babylonien, se répondent pour chanter un Irak, à la frontière du monde perse, pluriel et uni. À travers cette impressionnante tour, Bagdad, capitale culturelle, se dévoile dans une double volonté : réunir un peuple irakien déchiré, et offrir au monde son patrimoine en partage. Poétique et triomphant. 

 Tiphaine Mérot

* " Laver le déshonneur ", Nazek al-Malaïka
 

Semaine des Orients
De l'Orient des Mille et Une Nuits aux Orients modernes, l'Europe nourrit depuis longtemps le fantasme d'un ailleurs envoûtant, parfois inquiétant, toujours mystérieux. Cette semaine d'automne lui était consacrée.