Chantecler Tango

jeu, 11/21/2013 - 20:46

« Chantecler Tango », programmé en octobre au théâtre du Châtelet, est une comédie musicale qui se présente comme la reconstitution romancée du cabaret portègne du même nom.


Une immersion dans le contexte historique de la première apogée du tango : le milieu populaire des grandes villes côtières en Argentine, dans les années 1940 et 1950.

 

Ce projet est né de la collaboration de Stephen Rayne, metteur en scène britannique, et de Mora Godoy, danseuse et chorégraphe argentine, qui se produit sur scène pour la première fois dans un spectacle de sa propre création. La mise en scène fait se succéder plusieurs chorégraphies retraçant l'histoire du cabaret, depuis son apogée jusqu'à sa fermeture et, enfin, sa réouverture – fictive. Les danseurs, maîtres en la matière, enchaînent les différentes scènes dans une parfaite synchronisation, au son d'une musique signée Gerardo Gardelín. Un orchestre traditionnel, installé dans un coin de la scène-cabaret, alterne avec une bande-son comprenant une instrumentation moderne. Différents éclairages se succèdent en créant, à partir d'un même décor, des ambiances très contrastées. Un panneau frontal se lève ou s'abaisse pour indiquer les changements d'époque ; un second représente l'entrée extérieure. Quelques scènes, enfin, se déroulent dans une chambre à coucher. Mais le cœur de la représentation se passe dans la grande salle du cabaret.

« Chantecler Tango » ressuscite le cabaret perdu en apportant sur scène l'énergie vitale de la danse. C'est une brillante démonstration de virtuosité, qui subjugue le public de bout en bout. Au point que la dimension chorégraphique semble avoir largement pris le pas sur le caractère dramatique et narratif du spectacle. L'intrigue est presque un prétexte permettant d'enchaîner un ensemble de danses somptuaires, en hommage au lieu disparu. Le geste du danseur représente plus qu'il ne raconte ; les chorégraphies, malgré leur grande richesse, sont presque toujours dans la même intensité, expriment constamment un dynamisme survolté. Ce choix artistique, qui fait abstraction des tangos lents, plus intimes, vise peut-être à exprimer l'animation et la violence attribuées à ce lieu populaire. Cette intensité constante transmet au public une impression générale, une image sans véritables nuances. Un certain type d'émotion se trouve mis en représentation, peut-être au détriment d'un certain raffinement – malgré la richesse incontestable de l'élaboration chorégraphique.

Ce spectacle impressionnant laisse imaginer, il est vrai, le travail énorme déployé par l'ensemble de la troupe. Les danseurs ont fait preuve d'une incroyable maîtrise, exécutant avec précision et vivacité les techniques les plus variées et les plus élaborées de leur art. Leur talent est bien mis en valeur par la mise en scène, qui équilibre les prouesses de chaque artiste – en insistant un peu, toutefois, sur le personnage de Ritana, la tenancière, incarné par Mora Godoy. La scénographie utilise savamment et abondamment les moyens techniques, visuels et auditifs – jusqu'au sur-titrage des paroles de chansons jouées par l'orchestre. Elle offre un spectacle pluridisciplinaire, qui emprunte à la danse, à la musique, au théâtre et même au cinéma. Certains éclairages évoquent le septième art, par exemple lors de la danse des fantômes ; les nombreux flashbacks renverraient, eux, à l’œuvre d'Orson Welles.

« Chantecler Tango » est un spectacle complet, mais peut-être trop complet. Il n'a pas son point de perfection, car il est sans cesse dans le paroxysme. Objet culturel parachevé, il donne par moments l'impression d'une recherche excessive du spectaculaire. On pourrait l'archiver, le consacrer, le mettre dans un musée comme un objet artistique d'excellence. Mais à l'instant de la représentation, faute de nuances, le spectacle peine à susciter jusqu'au bout la même adhésion du public. Plus de nuances auraient ménagé la réceptivité du spectateur, lui permettant d'apprécier pleinement cette quintessence. Son attention, toujours sollicitée à l'extrême, finit par baisser. Pour le tenir en haleine, il aurait fallu que la représentation respire un peu plus.

Certes, la dimension pédagogique du spectacle a pu séduire le public parisien. La danse replacée dans le monde du crime et de la prostitution, la vie tumultueuse des bas-quartiers, indiquent quelques bribes historiques d'un intérêt non négligeable. Certains détails contribuent notamment à la reconstitution, comme la relation entre le maquereau et la prostituée, partenaires de danse imités par les clients du cabaret ; les hommes qui s'entraînent entre eux, faute de danseuses. Tout ce folklore populaire esthétisé marque la consécration du tango comme art mondial, au même titre que le jazz auparavant. Un hommage au tango, à l'époque – déjà bien avancée – de sa redécouverte.
 
 
Louis Gohin
 
 
Voir et écouter La Cumparsita (interprétée lors du spectacle)
Écouter l'entretien avec Mora Godoy
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