Pas beaucoup de communication (le bouche à oreille fait son travail), pas de site internet, pas de publicité évidemment…  La Miroiterie n’est pas un lieu qui se raconte- encore moins un lieu qui se vend-, c’est un lieu qui se vit. Pourtant ces derniers mois, heure critique oblige, les voix s’élèvent et le ton monte. La culture alternative est menacée… 

Au 88 rue Ménilmontant, une petite cour tout en longueur,  un vieux canapé déchiré, un piano… ou plutôt les restes d’un piano, beaucoup de graffs et quand même des morceaux de miroirs incrustés sur les murs. Bienvenue à la Miroiterie ! Ancienne fabrique de miroirs de bars, les sept bâtiments de ce lieu laissé à l’abandon sont investis par un collectif d’artistes en 1999. Aujourd’hui, La Miroiterie se targue d’être le plus vieux squat artistique ou « squart » (contraction de squat et d’art) de Paris. Peut-être plus pour très longtemps… Après une trentaine de procès en seulement trois ans, les menaces d’expulsion s’endurcissent et les espoirs s’estompent.

Au cœur du XXe arrondissement, la Miroiterie, c’est un projet culturel différent qui s’impose comme le théâtre de la scène alternative. Ateliers de peinture, de danse et de musique, expositions, mais aussi lieu de vie pour une dizaine d’artistes de toutes origines. C’est aussi une salle de concert, enfin, une pièce exiguë, qui a déjà accueilli plus de 9000 groupes à raison de cinq représentations endiablées par semaine. On l’a déjà entendu quelque part, qu’importe le flacon pourvu qu’il y ait l’ivresse. Ici, pas de videurs à l’entrée, juste une entrée, accessible à tous. Punk, rock, hip hop, musique guinéenne, berbère, rap… la scène est hétéroclite. Et puis il y a la  « jam session » du dimanche soir. Jazz aux couleurs d’Afrique, souvent free, ambiance maximale et musiciens (pour la plupart professionnels) virtuoses. On y retrouve  fréquemment Benjamin Sanz et Yann Joussein à la batterie, Mehdi Chaïb au saxophone et percussions, Ousmane Keita au kamelé n’goni (instrument à cordes d’Afrique de l’Ouest), Dgiz… et tellement d’autres. Magie de l’improvisation, il semble qu’ici  la musique se partage plus qu’ailleurs. Mais trop vite (pas après onze heures) le volume diminue et la Miroiterie se vide. Pourvu seulement que ce ne soit pas définitif.

En 2009, un promoteur immobilier rachète les parts des quarante-quatre propriétaires du site et engage une procédure judiciaire. L’évacuation de la Miroiterie est inévitable, pourtant, jusqu’à très récemment, on y croyait encore. Loppsie 2 est passé par là en 2011, et ses mesures d’incrimination des squatteurs facilitent leur expulsion. L’échéance approche : elle était prévue pour le 15 octobre dernier (soit quinze jours avant le début de la trêve hivernale), mais les autorités policières ont avoué ne pas avoir reçu l’arrêté préfectoral.  Le répit est temporaire, mais durera bien jusqu’au 15 mars prochain.

En attendant, la disparition programmée de cet espace de liberté, de création et d’échange artistique, inquiète tant elle est dans l’air du temps. L’Olympic Café, le théâtre du « Lavoir Moderne parisien » et une vingtaine d’autres lieux culturels sont menacés. Tout comme l’a été le Tacheles à Berlin, haut lieu de la culture alternative abritant une trentaine d’ateliers et autant d’artistes. Né en 1990, il a fermé ses portes le quatre septembre dernier. En cause : le prix de l’immobilier (et son corollaire, l’embourgeoisement des villes) et l’indifférence des politiques de la culture « officielle ». Quel avenir espérer ? Intégrer un collectif d’artistes déjà existants, comme « Chez Robert : électrons libres » du désormais institutionnalisé 59 Rivoli ? Pas question d’entrer dans la norme répondent les artistes-squatteurs de la Miroiterie qui tiennent avant tout à leur indépendance.

L’histoire n’est pas terminée et la création se poursuivra sans aucun doute hors les murs. « On ouvrira autre part de toute façon, c’est sûr. » affirme Michel Ktu, artiste peintre et programmateur.

 

Marion D.