Du coton à la culture

jeu, 05/17/2012 - 17:06

Il était une fois un gigantesque complexe industriel qui devait connaître un destin peu commun. La Spinnerei, située dans l’Ouest de Leipzig, au centre du quartier de Lindenau, vit le jour en  1884 et ne tarda pas à devenir l’une des plus grandes usines de production de coton d’Europe. Elle essuya les tempêtes de l’Histoire sans broncher (ou presque), protégée par ses immenses murs de brique rouge.

L’usine s’agrandissait à vue d’œil : elle devint une petite ville, maisons et jardins vinrent se greffer aux immenses machines dont le vacarme infernal, par la force de l’habitude, ne gênait plus personne. Mais l’habitude ne protégeait pas le millier d’hommes et femmes travaillant 10 heures par jour dans l’air lourd et enfumé de la Spinnerei. Industrie florissante, la production de coton employait en 1907 quelques 1600 ouvriers à Leipzig, 2000 à l’aube de la Première Guerre mondiale. En 1989, 1650 ouvriers travaillaient encore dans cette immense toile. La chute du Mur et l’ère de la désindustrialisation frappèrent de plein fouet le géant du tissage. En 1993 la production s’arrête, les machines s’endorment tandis que les araignées («Spinne» en allemand) continuent leur dur labeur sur les plafonds des 90 000 mètres carrés du complexe industriel.
Mais le début des années 90 n’a pas signé la fin de la Spinnerei, bien au contraire! L’usine, sous l’impulsion de différentes personnes passionnées par l’art et la culture, entra dans une ère nouvelle. L’administratrice Regina Lenk était ouverte aux nouvelles idées et comprenait les besoins des jeunes artistes qui réclamaient alors des ateliers aux loyers modestes et souhaitaient sortir de la norme imposée par le capitalisme grandissant. La Spinnerei commença dès lors à accueillir peintres, sculpteurs, designers, architectes, qui cherchaient en ses murs une vie plus propice à la création. En 2001, quatre hommes prêts à tout pour faire de la Spinnerei un haut lieu de la culture contemporaine, Florian Busse, Tillmann Sauer-Morhard, Bertram Schultze et Karsten Schmitz, rachetèrent l’usine et tinrent leurs promesses.

Qu’est-ce-que la Spinnerei aujourd’hui ? En quelques mots (et quelques chiffres) : une centaine d’ateliers d’artistes (dont la renommée de certains a traversé les frontières, tels Neo Rauch, Matthias Weischer, Jim Whiting, Tilo Baumgärtel, etc…), douze galeries d’art, une bibliothèque d’Histoire de l’art, un hall de plusieurs centaines de mètres carrés destiné à la création contemporaine et aux expositions de jeunes artistes, des cafés, un cinéma, une manufacture de porcelaine, une imprimerie, des créateurs de mode, des architectes, et, last but not least, le désormais célèbre Bimbotown. Le «quoi» me demanderez-vous ? Bimbotown est un endroit qu’il est difficile de décrire, situé à mi-chemin entre le bar, le restaurant, la discothèque, le musée, le conte de fée, le parc d’attraction et les fantasmes les plus chaotiques de la Science-fiction. Cet endroit unique au monde a été créé de toute pièce en 2002 par l’artiste Jim Whiting, passionné par l’art de la robotique. A Bimbotown se meuvent dans un vacarme digne de la première trilogie Star Wars des robots de toutes sortes, des lits sur des chemins de fer traversant une forêt de machines, des petits salons pilotables, et ce dans un univers qui pourrait fort nous rappeler Enki Bilal.

En cette belle journée ensoleillée de dimanche (le 29 avril), la Spinnerei accueille un public venu de tous les horizons à l’occasion du «Frühjahrsrundgang 2012», que l’on pourrait traduire par «portes ouvertes», même si les portes de cette ancienne usine le sont tout au long de l’année. Une journée ne sera pas assez longue pour visiter tous les locaux de la Spinnerei. La meilleure méthode est donc de flâner au gré de ses envies et de se laisser surprendre au détour d’une fenêtre cassée ou de cylindres rouillés. La Spinnerei est un monde dont il n’existe pas de cartes. Hall 4, une artiste japonaise expose ses photos : une série de personnes buvant un verre d’eau, geste simple qui tout à coup nous interpelle et nous pousse à nous interroger sur l’esthétique de nos gestes au quotidien. Dans une salle où la lumière coule à flot, Peter Mai nous décrit ses tableaux aux longues silhouettes symbolisant l’immobilité dans la traversée. Ici, dans cette pièce étroite, les tableaux de Paul Hammer nous livrent un superbe exemple de ce que peut-être le mélange de l’écriture et du dessin. Là, derrière un escalier, Dan Hudson est spécialement venu du Canada pour nous montrer le spectacle de la nature en perpétuel changement. Non loin, c’est Marin de Jong (Pays-Bas) qui nous invite à nous balader dans une jungle citadine recréée par vidéos, musiques, pinceaux et collages.

En rentrant chez lui, le visiteur n’a plus de doutes : la Spinnerei n’ a pas fini de tisser sa toile.


 

 

Leipziger Baumwollspinnerei, Verwaltungsgesellschaft mbH, Spinnereistraße 7, 04179 Leipzig

 

 

Laure Le Cloarec