En attendant la sortie du très attendu Last Guardian, prévu pour la toute fin 2011 au Japon, Sony nous a offert le 28 septembre dernier une remasterisation HD, compatible 3D stéréoscopique, des deux précédentes petites perles dirigées par Fumito Ueda : Ico, qui était sorti en 2002 sur PS2, et Shadow of the Collosus, sorti sur la même plateforme en 2006, sont désormais disponibles tous les deux sur le même Blu-ray pour PS3. Ce passage à la haute-définition est bénéfique, les contrastes sont meilleurs, les graphismes apparaissent plus fins, plus détaillés, et la profondeur de champ est agrandie, même si la pauvreté des textures est notable. En tout cas, l’atmosphère graphique y gagne. Bien plus qu’Ico, Shadow of the Colossus était un jeu trop ambitieux pour la PS2. Il souffrait de véritables problèmes techniques et les combats manquaient de fluidité. Ici, ce défaut disparaît totalement.
Dès les premières secondes de ces deux jeux devenus presque mythiques, le charme opère. Au sein d’un monde vidéoludique dans lequel les productions se ressemblent toutes, les créations de Fumito Ueda et son équipe s’en démarquent vraiment, véritablement atypiques, artistiquement uniques. Si Ico et Shadow of the Colossus ne sont pas de très grands jeux d’un point de vue technique, ils le sont pour l’atmosphère poétique qu’ils parviennent à créer. Ce sont de véritables invitations au voyage et au récit onirique. Deux jeux capables de créer une immersion telle que les joueurs en sont bouleversés. Qu’il s’agisse du jeune homme de Shadow of the Colossus ou des deux enfants d’Ico, il émane des personnages une telle détresse, une telle vulnérabilité qu'ils apparaissent véritablement touchants et attachants.
Ico est un jeu de plateforme avec énigmes, où le joueur incarne Ico un jeune garçon dont on ignore tout. Des hommes masqués le conduisent à la forteresse dans laquelle ils semblent avoir l’intention de l’enfermer en le bouclant à l’intérieur d’un sarcophage de pierre. On devine que c’est parce qu’il est différent, il a des cornes, qu’on le condamne à mourir. Des circonstances miraculeuses lui permettent de s’en échapper, et bientôt il erre dans les méandres du château, à la recherche d’une sortie. Il découvre alors qu’il n’en est pas le seul prisonnier, une petite fille blanche l’observe depuis la cage suspendue dans laquelle elle se tient recroquevillée. Ensemble, main dans la main, ils cherchent un moyen de s'échapper, parcourent en long, en large et en travers la forteresse à la recherche d’une issue. Ils ne parlent pas la même langue, mais parviennent à communiquer par signes. Lui peut grimper et sauter par dessus les obstacles mais elle n'y arrive pas. Il doit l'aider car, même si elle est beaucoup moins forte que lui, elle possède un étrange pouvoir qui permet d’ouvrir les portes magiques. Armé seulement d’un bâton, Ico doit parvenir à faire fuir les ombres qui apparaissent dès qu’il la laisse trop longtemps seule. Elles la pourchassent et refusent de la laisser quitter l'enceinte du château. Et, dès qu'Ico tourne le dos, elles tentent de l'arracher pour la conduire dans d'obscures ténèbres.
Quant à Shadow of the Colossus, une légende raconte que celui qui possède l'épée sacrée pourra ramener à la vie un être cher en tuant les seize colosses qui habitent les Terres interdites. Étrange coïncidence, le joueur incarne Wanda, qui possède justement cette mystérieuse épée magique, et a déposé la dépouille de la femme qu'il aime dans l'étrange temple de ce lieu. L'épopée commence, à dos de cheval, le héros parcourt les immensités à la recherche de ces titans qu'il doit combattre. Seul compte désormais d'affronter ces immenses colosses pour parvenir à rendre un souffle de vie à Mono, la jeune défunte. Ici, tout contribue à créer un sentiment de solitude, seul, le héros chemine à travers les roches, les déserts, les lacs, et le silence n'est rompu que par l'écho qui réverbère le son de ses pas. Ce n'est que lorsque Wanda fait face à l'un des gigantesques colosses, capable de le réduire en miettes d'une pichenette, que la musique reprend. Il faut alors s'efforcer d'escalader le géant et tenter de trouver son point faible, s'accrocher désespérément à la moindre aspérité du corps du monstre, bringuebalé dans les airs, et s’efforcer de ne pas lâcher prise : toute chute serait mortelle. De ce jeu d'action-aventure et de réflexion (il s'agit de se battre à l'aide de son arc et de son épée, mais surtout de parvenir à trouver le point faible du titan), se dégage la même impression de vulnérabilité que dans Ico. La frêle stature de Wanda s'oppose aux proportions monumentales des colosses, et tout, dans cette aventure, donne l'impression que l'on ne pourra jamais en sortir indemne.
Rares sont les oeuvres numériques aussi poignantes, mais surtout, rares sont les oeuvres vidéoludiques qui se détachent justement un instant d'un but purement ludique. Ici, le joueur s'arrête parfois pour observer le monde fictionnel qui l'entoure. Bouche bée, il observe le paysage du haut du château de Ico ou, à dos de cheval, ceux qui s'offrent à perte de vue dans Shadow of the Colossus. Parfois une cascade, une falaise... Fumito Ueda renverse les codes du jeu vidéo en nous interdisant de diriger un personnage surhumain, au contraire, il nous propose de contrôler un être vulnérable aux capacités bien trop humaines, errant dans un monde hostile. Il joue avec le silence et le vide qui, tout autant que les phases d'actions, font partie de l'expérience du joueur. De tout cela se dégage une atmosphère si particulière que le jeu s'auréole de mysticisme et gagne un supplément d’âme. Ce sont des créations comme celles-ci qui permettent d'espérer rattacher un jour le patrimoine du jeu vidéo à l'art.
Ico et Shadow of the Colossus remasterisés, sortie le 28 septembre 2011.