Rencontre avec Anna Mezentseva et Juan Pablo Villa, deux des quatre metteurs en scène de rekviem3.
 
Pouvez-vous nous raconter l'histoire rekviem3, et nous dire comment le spectacle s’est créé ?
 
Cela fait maintenant trois ans que nous travaillons sur rekviem3 et c’est le premier spectacle que nous avons créé ensemble. Le projet est né dans le cadre de l’Atelier de Dramaturgie et de Mise en scène lyrique de l’Université Paris 8. Nous sommes quatre metteurs en scène, Juan Pablo Villa, Anna Mezentseva, Lara Fenaille et Gvantsa Lobjanidze et notre troupe regroupe plusieurs équipes composées d’artistes, de professionnels et d’étudiants, venus de plusieurs disciplines, notamment de la musique et du théâtre. C’est pendant l’atelier que nous avons découvert le roman de Josef Bor, Le Requiem de Terezin, l’histoire vraie d’un chef d’orchestre qui a monté le Requiem de Verdi dans un camp de concentration tchèque, et nous avons décidé de travailler dessus. Mais notre travail n’a pas été la représentation du roman. On a choisi de prendre la musique de Verdi comme matériau dramaturgique. C’est une métaphore de l’œuvre de Bor. Nous avons créé notre propre langage. Nous n’avons pas de personnages en tant que tels, ni de textes, ni de scènes, tout est créé à partir de la dramaturgie musicale.
 
Comment se mettre d’accord avec 4 metteurs en scène et plusieurs équipes ?
 
Notre équipe fonctionne comme dans un relais en vélo : il y a quelqu’un qui mène et les autres suivent, et dès que le meneur s’essouffle, celui qui est derrière prend le relais.
 
Quel est le message de rekviem3 ?
 
On souhaite faire passer un message universel. C’est pourquoi nous n’avons pas de repères directs. Nous n’avons, par exemple, aucune référence claire aux nazis. On a pris le roman comme point de départ pour la dramaturgie et nous avons essayé d’aller au-delà de l’histoire de Terezin et de voir le message qu’il y avait derrière. Nos questions de départ étaient : pourquoi veulent-ils chanter ? Pourquoi veulent-ils jouer ? Pourquoi faire de l’art dans de telles conditions ? L’humanité de Terezin était perdue et la musique leur a permis de garder leur âme. C’est la question de la condition humaine qui est traitée ici.
 
C’est une idée développée dans le roman ?
 
Il a une dimension très simple, que ce soit dans l’écriture ou dans le déploiement du récit. Un témoignage qui relate un épisode si horrible de l’histoire de l’humanité porte déjà un lourd message. Pour nous, tout ce qu’il y a derrière est immense philosophiquement, c’est toute l’humanité qui est concernée, au-delà des victimes de la Shoah. On est parti de la musique, donc notre point de vue est différent de celui qui part du roman d’un point de vue politique et historique par exemple.
 
Le Requiem de Verdi a une forme musicale précise, c’est une messe funèbre. Expliquez-nous rekviem3 ?
 
Le Requiem est une œuvre liturgique, à écouter et non pas à regarder. Nous avons fait en sorte que l’image scénique développe l’écoute et renvoie à la musique. Nous avons réinterprété le Requiem dans un ordre qui n’est pas été conçu par Verdi. Nous avons choisi de ne pas y inclure la dimension religieuse non plus, pour que chacun interprète ce qu’il regarde et écoute comme il le souhaite.
 
Quels ont été vos choix de dramaturgie ?
 
Pour nous la base est la musique. C’est le moteur dramatique de notre spectacle. Notre livret est la partition. C’est ce qu’a d‘ailleurs fait Verdi, le texte du Requiem est liturgique et Verdi a travaillé d’une tout autre manière. Son Requiem ressemble à un opéra. Il y a de la dramaturgie dans sa musique. Nous souhaitons que le texte ressorte par la musique et non l’inverse. Par exemple, pour le travail de mise en scène avec les chanteurs, nous partions de la personnalité vocale du chanteur pour créer une scène et c’est de cette manière que nous avons créé toutes les scènes.
 
Et que pouvez-vous nous dire sur la scénographie ?
 
Quand on avait besoin d’exprimer quelque chose par rapport à la dramaturgie musicale, on a imaginé les éléments nécessaires et on les a réalisés. La porte est filmée et projetée sur un écran présent sur le côté de la scène et quand le public entre dans la salle, il est englobé dans l’espace. Nous avons créé trois espaces : le public et la scène qui sont dans le même espace, l’extérieur qui est représenté par cette porte (entrée de l’espace extérieur) et enfin l’espace « off » à l’arrière des panneaux blancs qu’il y a sur scène. C’est un espace métaphysique de l’inconscient et de l’imaginaire. Nous avons souhaité donner un sens à chacun des trois espaces. Il y également une importance des couleurs et des costumes. Au début, les costumes aux couleurs sombres déforment et déshumanisent. Dans le camp, on renonce à son identité. Au bout d’un moment, chacun à son rythme, les personnages enlèvent leur veste et les couleurs apparaissent. L’identité est restituée. Les corps déformés redeviennent humains. On vit à travers la musique. Le chant est leur âme. On peut tout leur enlever, il leur restera toujours leur chant.
 
Comment impliquez-vous le spectateur et pourquoi ce choix ?
 
Moralement, éthiquement, on ne peut pas être dehors/ailleurs car on regarde quelque chose de tellement horrible qu’on ne peut être simple spectateur. C’est pourquoi on casse le mur entre la scène et le public pour leur parler directement. C’est encore une métaphore.
 
Quel est l’avenir de rekviem3 ?
 

Nous voulons faire tourner le spectacle, le plus longtemps possible ! Nous serons présents au « Festival ici et Demain », mais aussi à l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille au mois de mai ! 

 

propos recueillis par BD et EdL