Le cinéma, ce "cimetière vivant" *
mer, 10/24/2012 - 18:13
Alain Resnais ne nous a pas habitués à des créations faciles. Il n'a jamais cédé à cette tentation. Tout en virtuosité, il poursuit sa route avec ce drame aux airs de nocturne.
L'exercice de style est pointu, ciselé, presque parfait. L'adaptation des textes d'Anouilh, Cher Antoine et Eurydice, prend tout son sens dans un jeu d'échos infini. Derrière ce visage peu familier vibre une ode à l'existence, où règnent le poids du testament, et le désir de conjuration.
Le film commence, elle est là. Telle une marionnettiste, elle joue avec l'intrigue et ses personnages. Si Alain Resnais rassemble un magnifique bouquet d'acteurs, c'est à la Mort qu'il donne pourtant le rôle principal. Peut-elle être vaincue ? La question est ouverte, mise en abyme, et quel meilleur choix que le destin d'Eurydice pour la sublimer ? De loin en loin une toile se dessine, une idée se fait jour, la seule qui puisse délivrer l'auteur : son œuvre, image vivante, sans cesse renouvelée, lui survit. En parallèle, se répondent alors trois troupes qui sont autant de résonances de la pièce. Suprême tentative pour faire revivre, de façon posthume, l'artiste à travers son mythe, et ressusciter son esprit.
Tout au long du film, à la faveur de ces comédiens qu'Alain Resnais aime tant, règne une tendresse, qui sonne comme un appel au réconfort. La mise en abyme se double-t-elle, à travers le réalisateur Antoine, du reflet d'Alain Resnais ? En quête de célébration, le dramaturge éteint réunit, par-delà la mort, son chœur de tragédiens pour chanter l'héritage de celui qui s'est tu. Chœur battant, dont chaque souffle, chaque cillement semble exprimer, à lui seul et toute entière, la force de la vie, sa fragilité aussi. Contraste. La vie, la mort. La Mort, la Vie... Et l'espérance que, comme dans la fable d'Eurydice et Orphée, l'amour triomphe de la Faucheuse, par la réunion des amants.
Un hommage au théâtre, une redécouverte du cinéma ; de réminiscences en chuchotements, un crescendo s'élève, les partitions se croisent, l'alchimie est saisissante. Mélange des genres, des tons, de la tragédie à la comédie, d'un art, l'autre... On sent, éperdument, un désir de réunir toutes ces saveurs dans une immense étreinte. L'ultime ? Vous n'avez encore rien vu.
Tiphaine Mérot
* "Le cinéma est un cimetière vivant", Alain Resnais.
Vous n'avez encore rien vu, un film d'Alain Resnais, avec M. Amalric, P. Arditi, S. Azéma, J.-N. Brouté, A. Consigny, A. Duperey, H. Girardot, G. Lartigau, M. Piccoli, D. Podalydès, M. Robin, A. Seweryn, J.-C. Sibertin-Blanc, M. Vuillermoz, L. Wilson ; sortie en salles le 26 sept. 2012.