La Fondation Cartier pour l'Art Contemporain accueille une exposition dédiée à l'art moderne et contemporain congolais, du 11 juillet 2015 au 10 janvier 2016.

"Beauté" est la traduction française la plus proche de l'expression congolaise "Kitoko". Ce mot qui signifie "beau ou belle" en lingala a été choisi par André Magnin, commissaire de l'exposition, pour tenter de rendre compte de l'émerveillement que suscite en lui la vitalité de l'art congolais.

Cette exposition porte la marque forte de son commissaire, qui est aussi un galeriste parisien, et un promoteur de l'art africain contemporain depuis les années 1980. En 1989, il est ainsi commissaire adjoint pour l'exposition Les Magiciens de la Terre qui a lieu au Centre Pompidou et à la Grande Halle de la Villette de Paris. Pour la première fois, des artistes contemporains "non occidentaux" apparaissent sur la scène internationale. Il travaille ensuite avec le riche collectionneur Jean Pigozzi, dont la CAAC (Contemporary African Art Collection) est la plus grande collection privée d'art contemporain africain. Pendant cette période d'une vingtaine d'années, André Magnin se passionne plus particulièrement pour la scène artistique congolaise moderne, dont il cherche à retrouver les sources. Une partie des oeuvres de l'exposition a pu être exposée grâce à ses travaux, notamment les oeuvres des artistes dit "précurseurs". Entre 1926 et 2015, quatre périodes sont distinguées, sans que celles-ci ne se succèdent de manière linéaire. 

Le circuit débute par la période la plus proche de nous temporellement, celle de la "jeune génération" qui émerge à la fin des années 1990. Les artistes sont en bonne partie issus de l'école des Beaux Arts de Kinshasa, créée en 1953. Dans des oeuvres où se mêlent photos, collage et peinture, les artistes interrogent l'actualité politique et transfigurent la réalité, tel Kiripi Katembo photographiant les flaques d'eau de Kinshasa, miroirs poétiques de la ville.

En poursuivant l'exposition au rez-de-chaussée, on découvre une autre école, connue sous le nom de "l'atelier du Hangar". Elle est fondée en 1946 à Elisabethville (actuelle Lumbubashi) par Pierre-Romain Desfossés. Cet ancien officier de la marine française souhaitait encourager de jeunes talents locaux. Certains, comme Mwenze Kidiba ou Pilipili Mulongoy, accéderont à une renommée internationale. Chacun affirme son style dans des compositions denses et délicates, qui traitent de sujets liés à la faune, la flore, la chasse, la vie villageoise.

L'environnement quotidien est également la source d'inspiration principale des "précurseurs" de l'art moderne congolais, que l'on découvre dans la pièce suivante. En 1926, George Thiry, fonctionnaire belge au Congo, découvre les oeuvres de deux peintres de case, Albert Lubaki et Djilatendo. Il leur fournit feuilles et aquarelle, pérénisant ainsi une production vouée à la disparition. Le fruit de leur travail, des oeuvres épurées et stylisées, trouvera un premier public en occident. Puis on perd la trace des deux artistes, abandonnés par leur mécène. 

En remontant à l'étage, on fait un saut dans le temps et on découvre les "artistes populaires" des années 1970. Autoproclammés comme tels, d'abord peintres publicitaires, ces artistes se caractérisent par leur style réaliste et vivant. Leurs oeuvres "qui viennent du peuple et qui retournent au peuple" nous entraînent dans la vie débridée de Kinshasa à travers un tourbillon de couleurs et de paillettes. Sont exposées des personnalités comme Chéri Samba ou Chéri Chérin, maintenant connus et reconnus sur la scène internationale.

Le parcours se déroule de manière anti-chronologique, suggérant implicitement l'impossibilité de faire entrer de force ces quatre-vingt dix années de production artistique congolaise dans une histoire des arts occidentale. L'exposition est ainsi une invitation à nous défaire de nos schémas d'analyses européens, pour mieux appréhender la singularité de ces oeuvres, encore peu connues du grand public. On pourra faire au commissaire le reproche déjà formulé par les critiques à propos de l'exposition Magiciens de la Terre : celle d'un regard européen à la recherche d'une authenticité quelque peu rêvée. Il n'empêche, Beauté Congo a le très grand mérite d'attirer l'attention du public sur les spécificités d'un pays africain en particulier, une démarche dont on a encore peu d'exemples.

Mathilde Fouillet et Juliette Pacalet

Beauté Congo - 1926-2015 - Congo Kitoko
Fondation Cartier pour l'art contemporain, du 11 juillet 2015 au 10 janvier 2016