Le dessous des cartes
sam, 12/15/2012 - 13:42
Que l’on ne se laisse pas duper par son intitulé quelque peu didactique : l’exposition de la BNF, L’âge d’or des cartes marines. Quand l’Europe découvrait le monde, ne manque ni de surprises, ni de magie. Sonorités portuaires, grincements de navire, murs tapissés d’un portulan agrandi majestueux : sensorielle et percutante, l’entrée en matière annonce à juste titre un long et fabuleux périple. Notre destination ? La Terre, ses mers et ses océans, ses rivages incertains et ses contrées secrètes. « Que nul n’entre ici s’il n’entend rêver sur les portulans. » La mise en garde est-elle seulement nécessaire ? L’espace initiatique que constitue l’entrée de l’exposition - véritable passage vers un autre monde - déclenche aussitôt l’imaginaire. Pari réussi donc pour les scénographes, Véroniques Dollfus et Jeanne Bovier-Lapierre, qui conçoivent ces lieux telle une invitation au voyage. Quatre parties pour quatre points cardinaux. La première se propose de nous faire découvrir en quoi consistent ces fameux « portulans » évoqués jusqu’ici avec mystère. Sont abordés techniques de fabrication et usages de ces cartes qui donnaient « la succession des ports et des havres le long des côtes » et « permettaient aux marins de s’orienter et de faire le point, en [y] reportant […] la distance qu’ils estimaient avoir parcourue. »
Portulan de la Méditerranée, des côtes de Portugal, Espagne,
France, Pays-Bas, Allemagne, Angleterre, d'Afrique, Arabie,
Inde, Chine, Iles de la Sonde, etc., et de l'Amérique du Nord
et du Sud. (1501-1600)
Rehaussés d’or et de multiples couleurs, spectaculaires, les portulans conservés et présentés ici constituent de réelles œuvres d’art. Ce sont aussi des lieux que l’on traverse comme des enfants, émerveillés, captivés, éblouis. Leur enchantement tient tout autant à leur illustration d’un passé lointain, presque inconcevable, qu’à leurs univers exotiques. A travers une iconographie riche et imaginative, ils évoquent en effet la curiosité d’un ailleurs, d’une altérité.
Scènes de chasse et de bataille en Mauritanie, Cos-
mographie universelle, Guillaume Le Testu, Le Havre,
1556.
Des costumes de plumes, Atlas Miller, Œuvre de Lopo
Homem [Pedro et Jorge Reinel, António de Holanda],
Portugal, 1519.
Des sultans d’Afrique du Nord, Carte marine de la
Méditerranée, Jacopo Maggiolo, Gênes, 1563.
Parmi les images des peuples, faunes, flores, mœurs et paysages des nouveaux mondes : des créatures fabuleuses. Cyclopes, sirènes, dragons, griffons, licornes, monstres marins… nombreux sont les êtres étranges qui donnent aux espaces cartographiés des airs de monde merveilleux.
Monoculi (cyclopes), Cosmographie universelle, Guill-
aume Le Testu, Le Havre, 1556.
Monstre marin, Cosmographie universelle, Guillaume
Le Testu, Le Havre, 1556.
Au gré des grandes découvertes, ces espaces prennent forme et deviennent également des lieux de pouvoir. La seconde partie de l’exposition s’intéresse au sens politique des cartes. A travers elles, les nations s’opposent, s’affrontent, se narguent. D’autre part, cette étape procède à un rappel opportun des grandes expéditions et de leurs navigateurs vedettes. La carte portulan anonyme dite de Christophe Colomb (vers 1492) ayant été offerte à ce dernier, ou encore le globe terrestre de Martin Behaim (1492) sur lequel ne figure pas encore le continent américain, contribuent à la magie de ce parcours. Séduisent aussi la présentation des richesses tant convoitées par les Européens (bijoux, pierres précieuses, épices, plantes exotiques), les manuscrits de récits de voyages, le glossaire franco-indien, la paire de mocassins iroquois, le célèbre diadème à plumes des chefs indiens, les gravures représentant les redoutés cannibales… Autour des cartes : l’univers des cartes.
Après l’Océan Indien et le transfert des savoirs entre la Méditerranée et l’Asie, retour à l’iconographie du nouveau monde avec la présentation de cinq documents majeurs et rarement montrés au public. Bien que la fatigue commence à poindre, le magnifique Atlas catalan (1375) d’Abraham Cresques mérite encore quelques regards éblouis.
Atlas Catalan, attribué à Abraham Cresques, 1375.
L’itinéraire s’achève comme il avait commencé, tout en images… les navires se sont éloignés en silence… nous sommes arrivés à bon port.
Quelle traversée !
Elsa R.
L'âge d'or des cartes marines. Quand L'Europe découvrait le monde | BNF | Du 23 octobre 2012 au 27 janvier 2013 | Grande Gallerie | Mardi-Samedi : 10h-19h, Dimanche: 13h-19h | 7 € - 5 € |