Le Pouce de César

mer, 02/11/2015 - 14:32 - Manon Degracia

Le Pouce a été commandé à César par l’EPAD (Etablissement Public pour l’Aménagement de la Défense). Il a été inauguré le 16 juin 1994 place Carpeaux, derrière le CNIT. En fonte, mesurant douze mètres de haut et pesant dix-huit tonnes, cette sculpture a été réalisée d'après un moulage agrandi du propre pouce de l'artiste à l’aide de la technique dite « pantographique à trois dimensions ».

 

La Défense est le premier quartier d’affaires européen. L’EPAD, grâce à une politique ambitieuse a su réserver une place privilégiée à l’art. Ainsi, La Défense est devenue un lieu d’expression artistique et culturelle reconnu, un musée permanent à ciel ouvert où les plus grands noms de l’art contemporain et de plus jeunes artistes se confrontent à un paysage architectural d’avant-garde. Les nombreux artistes exposés ont travaillé étroitement avec des architectes et des urbanistes afin d’intégrer le mieux possible leurs œuvres au quartier. C’est le cas du Pouce de César.

 

Le Pouce fait partie d'une démarche artistique plus générale de l'artiste, à savoir, les empreintes humaines. Deux facteurs vont l'amener à se pencher sur cette problématique : l'invitation à participer à une exposition de groupe consacrée à la main et sa découverte de l'agrandissement pantographique. En 1965, le sculpteur est invité à participer à l’exposition « La main, de Rodin à Picasso » avec d’autres artistes. Mais César sortit de l’exposition perplexe. En effet, aucune de ses productions ne correspond à la thématique. Ainsi, s’inspirant du thème de l’exposition, il décide de créer une reproduction de son propre pouce et de l’agrandir. Mais n'ayant que peu de moyen à l'époque, la première copie est réalisée en plastique rose et mesure seulement une quarantaine de centimètres. Ce modèle original, réalisé en 1965, a été adjugé à 1,2 millions d’euros lors d’une vente à l’occasion de la Foire Internationale d’Art Contemporain (FIAC). La même année, il présente son célèbre Pouce agrandi à 1,85 m de haut. Plus tard, à l'occasion des Jeux olympiques de Séoul de 1988, il crée un Pouce en bronze de 6 mètres de haut. Mais l’artiste, avide de grandeur, désir voir son pouce beaucoup plus grand. C’est alors qu’il réalise l’immense Pouce de la Défense. Le sculpteur aurait même rêvé d'un pouce aussi haut que la tour Eiffel, dans lequel il y aurait eu des habitations et des restaurants.

Cette œuvre est donc réalisée grâce à la technique dite « pantographique à trois dimensions » qui permet au sculpteur, grâce à un pantographe, de reproduire des volumes à n’importe quelle échelle, tout en conservant les proportions entre l’original et sa copie. Cette technique permet donc à l’artiste de créer des déclinaisons, de pouce, comme nous l’avons vu, mais aussi d’index, de poing, de main ouverte et fermée, et de seins. Réalisées au départ en matière plastique, ces Empreintes sont confrontées à des matières insolites ou traditionnelles. On peut citer le sucre blanc, le sucre d’orge, le cristal, le pain, le marbre, le verre, le fer, le nickel, la fonte d’acier inoxydable, l'or, le bronze et la fonte de fer.  Le Pouce de la place de la Défense est donc le plus monumental. Le bronze le rattache à une sculpture classique alors que le sujet est assez atypique.

Il est intéressant de noter que le Pouce de César s’intègre parfaitement dans le paysage de la Défense : que ce soit par sa couleur gris/bronze, qui rappelle celle du béton, ou le matériau, qui par sa brillance évoque le métal et le verre des bâtiments environnant. De plus, sa verticalité l’intègre aux gratte-ciel alentour. Le réseau des lignes entrecroisées du pouce fait également écho aux lignes du paysage, notamment du sol, et même le socle évoque les arbres alentour, entourés d’un muret carré. En revanche, le pouce est l’un des rares éléments humains, dans un environnement déshumanisé. Ses formes, arrondies, organiques, sont en opposition avec les lignes droites et les angles du paysage de la Défense. L’installation du Pouce dans ce cadre, malgré ce que l’on peut penser, fait partie intégrante de l’œuvre, il y a une véritable recherche sur l’intégration de l’œuvre.

Cette sculpture interpelle le visiteur, le pouce se dresse au centre des tours, il est reconnaissable mais aussi porteur d'une multitude d'interprétations possibles. César a lui-même expliqué que cette idée du pouce lui était venue encore enfant, lorsqu’il apprit que l’empereur romain César abaissait ou levait son pouce pour décider du sort des gladiateurs. Il met donc, avec son œuvre, l’Homme face à son propre corps et bouleverse la notion d’échelle. De plus, le pouce est le doigt qui permet la préhension et qui nous différencie de nombreuses espèces animales. Indéniablement, le pouce érigé au milieu des tours a aussi une référence phallique. Il est aussi intéressant de souligner le fait qu’il s’agit du pouce de l’artiste, le pouce même qui a modelé, créé ses œuvres. On a ainsi une sorte de mise en abyme, la main créatrice de l’artiste devient l’œuvre. De plus, César laissera véritablement son empreinte dans le paysage de La Défense, mais pas seulement. On retrouve les Pouces de l’artiste à travers le monde entier, de Séoul à Paris en passant par Marseille.

 

César est un grand artiste du XXe siècle, et il semble important de faire un point sur sa vie et sa démarche artistique. Né le 1er janvier 1921 à Marseille dans une famille d’origine italienne, César Baldaccini, dit César, a commencé dès son enfance à sculpter en utilisant des bouts de ferrailles récupérés. Après des études à l’Ecole des Beaux-Arts de Marseille puis de Paris (où il deviendra professeur), il réalise ses premières soudures mais se fait connaître particulièrement avec ses compressions d’une grande expressivité, non dénuée d’humour. César est d’ailleurs connu pour le "césar" du cinéma, conçu en 1975, une compression de l’artiste récupérée par le monde du cinéma qui récompense les lauréats de l'année cinématographique en France. César a développé quatre techniques dans son travail : la compression, l'expansion, les empreintes humaines et la soudure d'objets récupérés.

En 1960, il participe à la fondation du groupe des Nouveaux Réalistes avec Yves Klein, Arman, Jacques Villeglé et Raymond Hains. Le Nouveau Réalisme se caractérise par l'appropriation d'objets du quotidien dans le processus créatif notamment en réaction à la société de consommation naissante qui crée énormément de déchets.

Il créa jusqu’à sa mort, en 1998, en poursuivant une œuvre déconcertante et protéiforme, se qualifiant lui-même, avec une certaine ironie, d’artiste radical.

 

Manon Degracia