Marjane Satrapi : une femme sous influences

jeu, 01/28/2016 - 23:29 - Mathilde Fouillet

D'abord graphiste, illustratrice, puis auteure de bandes dessinées, et depuis bientôt dix ans réalisatrice : Marjane Satrapi est décidément une artiste protéiforme, dont le travail brasse une multitude d'influences, empruntant aux cultures les plus diverses. Nous en retiendrons sept, dont certaines ont été particulièrement décisives dans l'orientation de sa carrière.

En 1995, on lui offre Maus, une bande dessinée écrite et dessinée par l'américain Art Spiegelman. L'auteur est l'une des figures phares de la nouvelle bande dessinée qui émerge aux Etats-Unis, entre les années 1970 et 1980. Son œuvre raconte la Shoah à travers le récit autobiographique de son père, Art Spiegelman, juif rescapé des camps de la mort nazis. Son style graphique simple et épuré lui permet de décrire l'horreur, sans morbidité. Marjane Satrapi prend alors conscience du formidable potentiel de de la bande dessinée. L'image ci-dessous n'aurait pas eu la même force dans un style réaliste : l'épure est le garant d'une forme d'efficacité dans la transmission d'un message, et permet de tendre à un discours universel. Dans Maus, texte et dessin sont intrinsèquement liés : ce dernier ne se limite pas à un rôle purement illustratif.

Lorsqu'elle entre dans l'atelier des Vosges, elle y rencontre plusieurs jeunes artistes, ardents défenseurs d'une nouvelle bande dessinée indépendante qui s'épanouit en Europe dans les années 1990, à la suite des États-Unis. On y trouve notamment Johan Sfar, Lewis Trondheim, Christophe Blain, ou encore Emile Bravo. Ces artistes ont l'intime conviction que la bande dessinée est un art à part entière, et qu'elle peut être le messager d'un contenu profond et universel. Au grès des discussions, l'idée de faire de son expérience de vie en Iran une autobiographie dessinée prend peu à peu forme dans l'esprit de Marjane Satrapi.

Elle est tout particulièrement encouragée dans cette voix par David B., lui-même auteur d'une série autobiographique de six tomes réalisée entre 1996 et 2003, l'Ascension du Haut Mal. Ce sont les premières bandes dessinées qui aient vraiment donné à Marjane Satrapi l'envie de faire la même chose. Dans ses albums, David B. évoque la maladie de son frère aîné, atteint d'épilepsie. Son style graphique tout en noir et blanc a beaucoup influencé l'esthétique de Marjane Satrapi. Il l'a d'ailleurs épaulé tout au long de la réalisation du premier tome de Persepolis. 

Le titre Persepolis fait référence à la capitale de l'Empire Perse des Achéménides, fondée par Darius 1er au VIè siècle avant J.-C. La tradition persane est une des influences majeures de Marjane Satrapi. Certaines des cases de la bande dessinée sont directement inspirées des bas-reliefs des palais de Persepolis, sur lesquels sont figurés des frises de guerriers. Elle s'inspire aussi de la miniature persane, dont elle reprend le caractère stylisé et ornemental pour évoquer son imaginaire de petite fille. De manière encore plus manifeste, les deux premières couvertures ne représentent pas Marjane, mais deux cavaliers juchés sur des chevaux, figures omniprésentes de la culture iranienne.
 
 
 
 
 
Après le succès de Persepolis, Marjane Satrapi adapte sa bande dessinée à l'écran en 2007, avec Vincent Parronaud. Pour ce faire, elle conserve l'esthétique du noir et blanc, qui lui permet de multiplier les effets d'ombres. De nombreux plans montrent ainsi des silhouettes humaines, ou des silhouettes de bâtiments en noir sur fond gris. Ces plans sont pour beaucoup influencés par l'expressionnisme allemand des années 1920, notamment par le film Nosferatu de Murnau, ou encore par Le cabinet du Docteur Caligari de Robert Wiene. La scène où Marji découvre horrifiée une main qui surgit des décombres d'un immeuble est également un hommage au Cri, de Munch.
 

Son second long métrage, Poulet aux prunes, sorti en 2011, est à nouveau l'adaptation d'une bande dessinée publiée sept ans plus tôt. Toujours en binôme avec Vincent Parronaud, elle choisi cette fois de tourner avec des acteurs en chairs et en os. Le film est truffé de références aux grands classiques du cinéma, notamment à Federico Fellini. On peut en effet percevoir son influence dans le mélange constant entre fantaisie et réalité qui prévaut dans le scénario. Les deux réalisateurs lui font directement écho dans une scène ou Nasser Ali, le personnage principal, s'enfonce en rêve entre les seins gigantesques de Sophia Loren : ce plan renvoi à La tentation du docteur Antonio, un sketch dans lequel Eduardo de Filippo se perd au milieu de la poitrine d'Anita Ekberg.

Les deux derniers films de Marjane Satrapi, La bande de Jotas (2013) et The Voices (2014), sont révélateurs de son goût pour l'absurde, et de sa passion absolue pour les univers complètement déjantés des Frères Cohen. La séquence de délire du célèbre personnage du Dude dans The Big Lebowksy a particulièrement influencé la scène finale de The Voices. On y voit les personnages du film, vivants et morts confondus, vêtus d'atroces costumes rose et orange, se trémousser dans une chorégraphie kitsch à souhait.

Juliette Pacalet