Confortablement installés sur de moelleuses banquettes rouges, les spectateurs attendent avec impatience l’entrée en scène de l’aède. Ambiance intimiste dans la petite salle du Lucernaire nommée « Théâtre rouge ». Plusieurs générations s’y côtoient, preuve que l’Odyssée, cette épopée vieille de plus de deux millénaires, continue de fasciner petits et grands. C’est avec plaisir et curiosité que chacun accueille les trois acteurs chargés de donner voix et corps aux chants XIII à XXIII du poème d’Homère dans Retour à Ithaque.

La mise en scène d’un tel texte relève du défi. Pourtant, l’Odyssée a vu le jour à une époque où la tradition orale prévalait. Y a-t-il là un paradoxe ? Voici la difficulté à laquelle doit faire face toute adaptation moderne de l’épopée d’Homère. A notre époque, les hommes ne regardent plus les mêmes spectacles, et ils les regardent autrement. Le récit épique, incroyablement long, ne peut plus être récité par une seule personne, pendant des heures, scandé d’une manière qui pourrait nous sembler trop étrange. Nos attentes, nos habitudes, ont changé ; notre façon d’écouter aussi. Et pourtant le poème d’Homère, qui a traversé les âges (presque) intact, n’attend qu’une chose : être incarné.


René Loyon, le metteur en scène de Retour à Ithaque, relève le défi avec brio. Le décor minimaliste (seuls trônent sur scène quelques tabourets qui serviront de frontières, de passages, de chaises, d’élévations, de tables) laisse les mots d’Homère résonner de toute leur force. Les créations sonores de Françoise Marchesseau servent l’intrigue par leurs intonations mystiques et leur pouvoir évocateur. Le jeu de lumières, dirigé par Laurent Castaingt, est splendide. Couleurs chaudes et couleurs froides se succèdent, les moments poétiques sont nimbés d’une douce lumière orangée tandis que la violence est mise à nu par un éclairage froid et cru. Tout dans ce spectacle tend à décrire la lente montée de la colère d’Ulysse jusqu’à cet acte d’ultime violence qu’est le massacre des prétendants.
Il faut saluer la performance des acteurs et leur jeu impeccable. Grandiose et touchante, Fatima Aïbout incarne tour à tour le narrateur, Athéna, Pénélope, le porcher Eumée. Sa voix et son corps s’adaptent aux différents rôles à une vitesse surprenante, et ce avec une grande crédibilité. Tantôt déesse souveraine, tantôt épouse inquiète et intouchable, tantôt compagnon de lutte, elle entraîne avec elle le spectateur dans le tourbillon de l’épopée. Sa voix forte et sa diction parfaite redonne aux mots de l’Odyssée toute leur puissance d’évocation. Devant nous se dressent alors les rivages d’Ithaque, les colonnes du palais d’Ulysse… Drôle, sérieux, innocent ou effrayant, Kevin Duplenne endosse les rôles de Télémaque, de la nourrice Euryclée, du bouvier Philoetios et de plusieurs prétendants. Son jeu force le trait des personnages, sans pour autant tomber dans le burlesque ou le grotesque, ce qui apporte au spectacle une touche d’humour plus que bienvenue. Le pilier du récit, Ulysse, est quant à lui incarné par Julien Muller, dont la présence imprègne la scène du début à la fin de la représentation. Même lorsqu’il est assis et silencieux, sa puissante aura se fait sentir. Sa voix tonitruante résonne de colère lors du massacre des prétendants, tandis que sa sagesse et sa ruse prennent corps dans les plans qu’il échafaude dans un murmure. Tour à tour, ces trois acteurs réussissent à donner vie au poème d’Homère sans s’effacer derrière les mots. Défi relevé, belle réussite.

La compagnie RL a choisi, pour cette mise en scène de l’Odyssée, la traduction de Victor Bérard. Peut-être aurait-elle dû prendre plus de risques en adaptant la très belle traduction de Frédéric Mugler. Le style classique aurait alors laissé place à un langage plus poétique et moins formel. Malgré ce choix de traduction, les acteurs ont su incarner les différentes voix de l’épopée et recréer la magie du chant de l’aède, pour notre plus grand plaisir.

Retour à Ithaque, d’après l’Odyssée d’Homère. Du 31 août au 5 novembre 2011, Le Lucernaire, 53 rue Notre Dame des Champs, 75006 Paris. Réservations au 01 45 44 57 34 ou sur internet : www.lucernaire.fr

 

Laure Le Cloarec