Muse, dis-moi l'homme inventif, qui erra si longtemps...
mar, 11/01/2011 - 20:31
Confortablement installés sur de moelleuses banquettes rouges, les spectateurs attendent avec impatience l’entrée en scène de l’aède. Ambiance intimiste dans la petite salle du Lucernaire nommée « Théâtre rouge ». Plusieurs générations s’y côtoient, preuve que l’Odyssée, cette épopée vieille de plus de deux millénaires, continue de fasciner petits et grands. C’est avec plaisir et curiosité que chacun accueille les trois acteurs chargés de donner voix et corps aux chants XIII à XXIII du poème d’Homère dans Retour à Ithaque.
La mise en scène d’un tel texte relève du défi. Pourtant, l’Odyssée a vu le jour à une époque où la tradition orale prévalait. Y a-t-il là un paradoxe ? Voici la difficulté à laquelle doit faire face toute adaptation moderne de l’épopée d’Homère. A notre époque, les hommes ne regardent plus les mêmes spectacles, et ils les regardent autrement. Le récit épique, incroyablement long, ne peut plus être récité par une seule personne, pendant des heures, scandé d’une manière qui pourrait nous sembler trop étrange. Nos attentes, nos habitudes, ont changé ; notre façon d’écouter aussi. Et pourtant le poème d’Homère, qui a traversé les âges (presque) intact, n’attend qu’une chose : être incarné.
Il faut saluer la performance des acteurs et leur jeu impeccable. Grandiose et touchante, Fatima Aïbout incarne tour à tour le narrateur, Athéna, Pénélope, le porcher Eumée. Sa voix et son corps s’adaptent aux différents rôles à une vitesse surprenante, et ce avec une grande crédibilité. Tantôt déesse souveraine, tantôt épouse inquiète et intouchable, tantôt compagnon de lutte, elle entraîne avec elle le spectateur dans le tourbillon de l’épopée. Sa voix forte et sa diction parfaite redonne aux mots de l’Odyssée toute leur puissance d’évocation. Devant nous se dressent alors les rivages d’Ithaque, les colonnes du palais d’Ulysse… Drôle, sérieux, innocent ou effrayant, Kevin Duplenne endosse les rôles de Télémaque, de la nourrice Euryclée, du bouvier Philoetios et de plusieurs prétendants. Son jeu force le trait des personnages, sans pour autant tomber dans le burlesque ou le grotesque, ce qui apporte au spectacle une touche d’humour plus que bienvenue. Le pilier du récit, Ulysse, est quant à lui incarné par Julien Muller, dont la présence imprègne la scène du début à la fin de la représentation. Même lorsqu’il est assis et silencieux, sa puissante aura se fait sentir. Sa voix tonitruante résonne de colère lors du massacre des prétendants, tandis que sa sagesse et sa ruse prennent corps dans les plans qu’il échafaude dans un murmure. Tour à tour, ces trois acteurs réussissent à donner vie au poème d’Homère sans s’effacer derrière les mots. Défi relevé, belle réussite.
Laure Le Cloarec