Plutôt que le titre un peu trop banal (Une étrange histoire d'amour), c'est l'image qui attire le regard, les mains d’une femme caressant les touches d’un piano. Et puis la quatrième de couverture livrait un résumé alléchant : le récit de l’histoire d’amour entre le jeune Brahms et la femme d’un autre compositeur important du XIXe siècle, Robert Schumann. Histoire d’amour sur fond de sonate, la trame était prometteuse. Ça n’a pas duré.

 

Le roman s’articule autour d’une lettre, celle de Brahms adressée à Clara Schumann, après les funérailles de celle-ci. Durant deux cent dix-neuf pages, c’est le jeune musicien qui nous livre son histoire en forme d’adieu à celle qu’il a aimée. Arrivé à Düsseldorf, Johannes Brahms convainc rapidement Schumann de son talent et prend alors une grande place dans la famille jusqu’à s’éprendre de la femme du compositeur, accessoirement concertiste de talent mais reléguée au rang de mère de famille (évidemment frustrée). Seulement, Schumann est un être sombre et sujet à des crises de folie. Il se fait interner, sa femme semble alors fuir la maison familiale, laissant à Brahms le soin des enfants. À la mort de Schumann, l’idylle se rompt, mais l’amitié de Brahms pour Clara survivra.

 
Relation complexe entre le maître et son disciple, attirance d’un jeune homme pour une femme rangée, Luigi Guarnieri ne se prive pas d’emprunter tous les clichés romanesques sentimentalo-historico tragiques (prix de groupe oblige) à coups de grandes vérités sur l’amour impossible et de comparaisons qui frôlent la niaiserie : « Et ta voix, soudain si joyeuse, aussi rafraîchissante qu’une averse en plein été. » Rien de très original donc, et même les résonances mélodiques qui, du fait des personnages choisis, auraient dû rythmer l’œuvre entière, se font rares. En vain l’on attend de se laisser porter par la mélopée qui nous semblait promise.

Bien plus que le chant mélodieux, c'est la plainte qui ressort de ce roman. Et des questions aussi. D'abord, est-on en droit de se demander, quelle est la pertinence du roman épistolaire, lorsqu'il s'agit d'une unique lettre, qui plus est, adressée à une morte ? Méthode littéraire éculée qui laisse de glace et suscite l'incompréhension. En outre, quelle est la légitimité de Brahms, extérieur au couple Schumann, à raconter les traits les plus intimes de leur mariage ? Alors que le roman est supposé faire le récit d'une histoire vraie, la forme paraît au contraire suggérer un manque de vraisemblance.
 

On connaît la prédilection de Luigi Guarnieri pour les romans historiques sur les grands héros de l’art (La Double vie de Vermeer ou La Jeune Mariée juive, sur l’histoire d’un tableau inachevé de Rembrandt), mais lorsque l'on s'engage sur les chemins exigeants de la littérature, l’anecdote dans l’histoire ne suffit plus. Si sur le papier le trio des musiciens ressemble à une cacophonie, on se consolera avec l’harmonie de cette partition à quatre mains qui, elle, résonne sans fausses notes.

 
 
Constance D.
 
 
Une étrange histoire d’amour, de Luigi Guarnieri. Traduit de l’italien par Eve Duca en collaboration avec Marguerite Pozzoli, Actes Sud, juin 2012.