"Parce que Jésus, c'est du fromage"
ven, 12/07/2012 - 18:13
Agitateur de pensées, amoureux fou, avant-gardiste excentrique, bourgeois cupide, catholique égocentrique, illusionniste comique, provocateur jésuitique, monarchiste scientifique, surréaliste narcissique, peintre fou, peintre mou, peintre fou du mou ? Salvador Dali ou Avida Dollars ? La rétrospective du Centre Pompidou rend hommage à l'artiste, au créateur et au clown.
Pour rencontrer l'artiste, il faut être patient et surtout pas agoraphobe. Même le lundi il y a foule au Centre Pompidou qui, trente-trois ans plus tôt, accueillait le peintre en personne et présentait ses créations. Billet en main, la traversée du Centre Pompidou est toujours magique et fascinante. Mais voilà qu'une voix off vient briser l'escapade : « nous vous annonçons une heure de queue pour l'exposition de Dali ». Pas question de faire demi-tour, pendant la queue vous réviserez vos langues étrangères : espagnols, italiens, allemands, anglais, polonais (et français bien sûr), ils sont tous là. Qui sont-ils ? Touristes ? Amateurs d'art ? Un premier constat s'impose : Dali rassemble, Dali interroge, Dali dérange. Et des questions subsistent : qui est ce génie amateur de fromage qui a peint La Persistance de la mémoire inspiré par des camemberts ? Qui est cet homme lecteur de Freud et rival de Picasso ? Qui est ce maître d'art drôle ? Qui est cet artiste catalan qui se dit à la fois catholique et franquiste ? Qui est ce roi de l'illusion ?
Pour nous éclairer, le Centre Pompidou propose un parcours en sections chrono-thématiques : le périple débute par un œuf dalinien avec des battements de cœur et un Dali en position fœtal. La naissance et l'enfance sont deux mots clefs pour comprendre le Dali tourmenté et triste qui cherche continuellement à s'aimer et se faire aimer, d'abord de ses parents, qui ont perdu leur premier enfant à l'âge de vingt-et-un mois, et plus tard du public. L'exposition se veut exhaustive et plus détaillée que celle proposée il y a trente ans, notamment parce qu'elle fait apparaître les œuvres du peintre d'après-guerre. Une vision large et totale de l'univers dalinien est proposée grâce aux cent vingt tableaux, aux chefs-d'œuvres inspirés du futurisme italien puis du cubisme, aux tableaux surréalistes et aux peintures issues de la méthode paranoiaque-critique.
Malgré la foule, il faut reconnaître que l'exposition permet aux visiteurs d'être étonnés par la dimension réelle des tableaux : La Persistante du temps surprend par sa petite taille et Paysage avec jeune fille sautant à la corde est étonnement grand. Si beaucoup de visiteurs sont attirés par la femme fleur peinte dans Le Masturbateur, d'autres curieux appréhendent les tableaux oniriques ou à connotations sexuelles plus méconnus. Avec la foule difficile de suivre le parcours proposé, on vogue de droite à gauche, des œuvres influencées par sa période onaniste à ses tableaux diptyques, en passant par ses nombreux autoportraits. On rencontre ensuite des peintures politiques où apparaissent Hitler, Lénine et des haricots, éléments prémonitoires de la guerre d'Espagne. Enfin, on admire de nombreuses peintures symboles de son interrogation concernant les mathématiques et la science. L'exposition présente également les objets loufoques de l'Espagnol comme le Téléphone aphrodisiaque, le Veston aphrodisiaque ou le Buste de femme. On s'arrête également avec curiosité sur les photos de Philip Halsam et sur les peintures pornograpiques inspirées par l'Angélus de Millet.
Snob et scandaleux, Salvador Dali éveille tous les sens. Au delà des couleurs et symboles daliniens, sa voix résonne dans la galerie : des écrans diffusent ses prestations, ses performances et des extraits du film Un chien andalou qu'il réalisa avec son ami Luis Buñuel. Dans une salle sombre équipée de canapés en forme de lèvres, sont diffusées des vidéos de l'INA : des collectors et pépites de drôlerie ! Dans un extrait, Dali, plus sérieux que jamais, explique que les choses les plus importantes pour lui sont Gala, l'or mystique et le fromage. À la question « Vous arrive-t-il d'être sincère ? » Dali répond catégoriquement « jamais ». Voir Dali, c'est inévitablement admirer Gala. Le Centre Pompidou ne l'a pas oubliée. Elle apparaît sur de nombreux tableaux et également aux côtés de l'artiste dans les émissions de télévision. Même si Salvador Dali présente avec dérision cette Russe orthodoxe en prétendant l'avoir draguée avec des excréments de chèvre, Gala n'en est pas moins sa muse, sa femme et son amante. Elle est tout pour lui et ce depuis leur rencontre en 1929.
La vie est un spectacle, Dali un personnage héroïque. Les personnages ne meurent pas, le Centre Pompidou nous en donne la preuve avec cette rétrospective. Dali déroute par son œuvre complexe et ambiguë, inclassable dans son genre et dans sa démesure. Il représente l'homme moderne, capable de faire le « buzz » dans toutes les langues. Roi de l'irrationalité, dieu du mou, star du petit écran parlant de lui à la troisième personne, l'artiste prodigue n'a pas cessé d'inventer pour partager ses délires, ses phobies et même ses fantasmes. Comme tout personnage, il est là pour paraître, être aimé ou détesté et, comme artiste singulier, il s'interroge sur la tradition artistique et propose sa propre lecture du monde. Dali joue avec l'existence et surtout rend invisible la distinction entre l'œuvre et l'artiste parce qu'il comprend avant beaucoup d'autres l'importance du spectacle, du show et de l'happening. Alors fou du chocolat, fou du camembert ou juste fou ? Après tout, peu importe « parce que Jésus, c'est du fromage ».