Rencontre avec Alice Bloch, attachée de presse de l'Opéra Comique

mer, 12/22/2010 - 13:39 - Anonyme

A la veille de Noël, nous avons eu le plaisir et l’honneur de rencontrer Alice Bloch pour qu’elle nous en dise plus sur son travail à l’Opéra Comique.

MCEI : En quoi consiste exactement le travail d’attaché de presse ?
A.B. : Mon travail est de faire connaître l’Opéra Comique dans la presse et de faire en sorte que l’on parle de nous, à la fois de l’institution mais aussi des spectacles. J’ai un fichier presse avec des journalistes spécialisés dans certains domaines. Dans le milieu lyrique, mon cœur de cible – ceux avec lesquels je travaille en permanence – compte environ soixante-dix à quatre-vingts journalistes. Mon rôle est de les inciter à écrire des avant-papiers pour annoncer le spectacle et remplir la salle, puis les faire venir aux premières représentations pour qu’ils écrivent des critiques. Pour cela, mon métier consiste à produire des dossiers de presse, dossiers qui comportent un argument du spectacle, la distribution, les biographies. Je présente le spectacle par le biais de notes d’intention ou de mise en scène des chefs d’orchestre. On peut compter trois vagues d’envois des dossiers : un premier pour les journaux mensuels qui bouclent très en amont, un deuxième pour les hebdomadaires et certaines émissions de radio et de télévision et enfin le dernier envoi pour la presse quotidienne, les agences de presse et les sites Internet. Ensuite, il y a une phase de relance importante, les journalistes étant très sollicités. J’ai également la charge, à l’approche des spectacles, surtout lorsqu’il s’agit de nouvelles créations, de convoquer des photographes. Je m’occupe de tout ce qui est compte rendu de spectacles : j’organise des émissions de radio, des interviews, je crée du lien en informant en interne. Je réalise également la revue de presse hebdomadaire : je lis la presse tous les jours et collecte tous les articles sur l’Opéra Comique. A la fin de chaque semaine, je diffuse la compilation que j’élargis avec d’autres articles culturels pour avoir des éclairages complémentaires.

MCEI : Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?
A.B. : Les difficultés sont multiples. La première difficulté se pose avec le déclin de la presse. Depuis quinze ans, je vois cette évolution difficile se profiler. Il y a de moins en moins de place pour la culture dans les médias. Et maintenant, quand on parle de culture, c’est une sorte de « fourre-tout ». L’opéra, là-dedans, a du mal à trouver sa place. Il n’attire pas beaucoup de monde, il est encore un véhicule d’image trop élitiste. Actuellement, je suis confrontée au problème. J’ai besoin d’un sujet au journal de 20h de TF1 pour faire salle comble à la rentrée. Mais tous les facteurs sont défavorables. On ne joue que cinq fois. Pour l’opéra c’est à peu près la moyenne. Néanmoins, une équipe n’a pas forcément envie de s’investir pour tourner un sujet au risque de le diffuser trop tard. TF1 veut des choses très « grand public », donc il faut accentuer le très « grand public » et cacher l’aspect plus « intello » dans un dosage judicieux. A l’époque de Jérôme Savary, nous avions cette chance de donner des spectacles des semaines durant, les contraintes n’étaient pas les mêmes. J’avais une couverture média considérable, j’avais même besoin de faire du tri dans toutes les propositions qui affluaient. L’autre difficulté, c’est qu’il y a beaucoup d’émissions qui sont dites culturelles, elles le sont mais dans un sens plus large. Elles sont sociétales comme les débats d’idées. Ce ne sont pas des émissions dans lesquelles je peux m’insérer pour une promotion. Nous avons besoin des médias et les médias le savent, mais nous arrivons difficilement à nous marier. C’est un jeu de piste permanent.

MCEI : Y-a-t-il des particularités à exercer ce métier dans le domaine culturel ?

A.B. : Il faut déjà distinguer, à l’intérieur du culturel, le spectacle vivant. Dans le culturel, je pense qu’il y a moins d’enjeux stratégiques que si j’exerçais dans l’industrie. Il n’y a pas de concurrence directe. Il n’y a pas non plus de positionnement de marque, le positionnement est induit par la ligne artistique. Il y a un autre aspect à prendre en considération qui est le salaire. Bien souvent, on vous fait comprendre que c’est déjà une immense chance d’avoir la possibilité de travailler dans le culturel, en contrepartie les salaires ne sont pas ce qu’ils pourraient être dans l’industrie ou dans le tertiaire. Dans le spectacle vivant plus particulièrement, la difficulté tient au fait que le spectacle est un élément périssable, contrairement au livre ou au disque qui ont une vie plus longue. Il faut être capable de « saisir la balle au bon », de tisser sa toile de telle sorte qu’il y ait une bonne conjonction de facteurs. Souvent, je regarde si le chef d’orchestre a une actualité, s’il vient de sortir un disque ou si le metteur en scène a d’autres spectacles ailleurs. Quand on arrive à tisser une double ou une triple actualité, les médias s’en saisissent beaucoup plus facilement. L’autre particularité est que l’on travaille souvent le soir. Il faut accueillir les journalistes, les placer selon un plan prédéfini, faire face aux annulations et imprévus de dernière minute. Il faut être réactif pendant l’entracte. Sans les harceler, il s’agit de sonder un peu les journalistes et de créer du buzz. Le meilleur vecteur de communication, c’est le « bouche à oreille ».

MCEI : Quelles évolutions avez-vous constatées depuis que vous êtes dans le milieu ?
A.B. : De plus en plus, les relations presse et la communication marchent ensemble. J'y ai moi-même été confrontée même si aujourd'hui je me suis recentrée uniquement sur la presse. Nous étions en déficit de personnes, je devais également m'occuper du plan média et de l’achat d’espaces. Selon moi, ce n’est pas très positif que ce soit une seule et même personne qui gère les deux car cela permet moins de souplesse et plus de pression. Cela vous oblige à acheter de l’espace pour avoir en retour un soutien rédactionnel. Ce n’est pas très sain et c’est pourquoi je ne parle jamais argent ; ma seule monnaie d’échange, ce sont les places que je donne aux journalistes. Mais aujourd’hui, les attachés de presse indépendants ne sont plus seulement attachés de presse, c’est une sorte de package sur l’image. Tout cela est trop construit, devient un peu faux. Par ailleurs, Internet a considérablement modifié le métier de l’attaché de presse. D’un point de vue pratique, il a permis d’accélérer les choses. Il a facilité certains dispositifs, notamment pour les biographies. Avant, il était difficile de les avoir dans les temps. Parfois elles n’étaient pas traduites, pas calibrées, pas à jour. Aujourd’hui, c’est moins crucial, grâce à Internet, les journalistes peuvent avoir la biographie de n’importe quel artiste. Cela m’aide moi-même pour faire des recherches. De même pour les photos, elles sont mises sur le site, les journalistes y ont facilement accès. Avec Internet, la critique s’est également développée. J’y ai accédé assez facilement mais il y a encore beaucoup de mes confrères ou consœurs qui s’y refusent, disant que ce ne sont pas de vrais journalistes. Je favorise la critique musicale sur Internet car elle est censée être plus rapide. Mais c’est loin d’être toujours le cas, les rédacteurs ont souvent des métiers parallèles. Finalement, le temps qu’ils écrivent, qu’ils se fassent relire par le rédacteur en chef du site, qu’ils mettent en page et que le webmaster rajoute la photo, l’article sort en même temps que la presse écrite, voire après.

MCEI : Travaillez-vous avec la presse étrangère ?
A.B. : Très franchement, je n’ai pas les moyens de le faire. Les journalistes étrangers qui veulent venir viennent. J’accueille des correspondants étrangers régulièrement. Parfois, ils font un European Tour : un soir ici, un autre à Bastille… et font des papiers globaux. Ce qui est sûr c’est que je ne peux pas me permettre de leur payer le voyage. Les touristes n’ont pas besoin de la presse étrangère pour venir. Ils trouvent les informations auprès des concierges des hôtels, des sites internet et des tour-opérateurs avec qui nous travaillons.

MCEI : Pouvez vous nous retracer votre parcours d’étudiante ?
A.B. : Après avoir passé un Baccalauréat Littéraire à l’Ecole Active Bilingue, j'ai fait une licence de Langues Etrangères Appliquées à Nanterre, option Droit et Economie. J’ai été l’une des premières à bénéficier du programme Erasmus, je suis allée dans les West Midlands, vers Birmingham, où j’ai dû réfléchir à la suite.Un petit ami qui se rendait à une réunion de l’EFAP (l’Ecole Française des Attachés de Presse) m’a conseillée cette formation. Je me suis dirigée vers une branche de l’EFAP qui prenait à partir de la licence. Il y avait beaucoup de choses qui étaient dites autour de l’EFAP, que c’était une école de « filles à papa », avec cette image de l’attaché de presse en tailleur avec petits fours, une image qui d’ailleurs perdure encore dans les esprits. Avoir un bagage de trois ans paraissait plus sérieux. J’ai donc fait cette EFAP Communication pendant deux ans. C'est une bonne mise en bouche de ce qu’est la vie professionnelle car la première année nous sommes en stage à mi-temps et la seconde année nous le sommes à plein-temps avec des cours le soir. A l’époque, mon souhait était de travailler dans les arts plastiques en musées ou galeries. J'ai fait mon mémoire de fin d’études au Musée du Louvre. Cela correspondait au moment où il créait un Service Communication, dans les années 90. C’était tout nouveau et l’EFAP n’était pas trop pour cela. Ils étaient plus agences, pub… et voyaient assez mal les rares qui voulaient aller dans la culture. Je me suis retrouvée sur le marché du travail avec, je dois l’avouer, un coup de pouce qui m’a été proposé par quelqu’un de ma famille. Par hasard, je suis arrivée dans une société qui organisait de nombreux salons, à Paris, Porte de Versailles. J’avais envie de travailler à la FIAC – Foire Internationale d’Art Contemporain – avec toujours en tête l’idée d’art contemporain. Je suis arrivée à l’automne au moment du Salon Nautique, que j’ai fait avec une attachée de presse avec qui cela s'est très bien passé. Peu de temps après, cette dernière a été nommée à l'Opéra Comique comme attachée de presse free-lance. Elle avait besoin de quelqu’un qui soit en permanence au bureau. Voilà comment je suis arrivée ici un peu par hasard. Comment j’y suis restée ? Cela m’a plu, le directeur a trouvé que je travaillais bien, et comme il lançait une troupe de jeunes chanteurs, il a pensé je ferais l’affaire. Il n’a pas renouvelé le contrat de l’attachée de presse qui m’avait pourtant mis le pied à l’étrier, mais c’est comme cela que les choses se font parfois. Voilà comment je suis restée seule à ce poste depuis maintenant seize ans.

MCEI : Compte tenu de la conjoncture, quels conseils donneriez-vous à un jeune qui se lance dans le métier?
A.B. : Comme conseil : être curieux, savoir rebondir, être réactif. Ce sont des mots qui ne veulent pas dire grand-chose comme cela mais il s’agit d’essayer de créer des choses nouvelles, des façons nouvelles de travailler. Avec les nouvelles technologies, cela va continuer de changer. Le conseil, c’est aussi qu’il va toujours falloir défendre la culture. Il faut poser la question de la légitimité de ce métier. Une institution comme l’Opéra Comique aura toujours besoin de quelqu’un, mais un artiste ? Construire une image prend du temps, cela se fait sur la durée, une confiance s’établit. Aujourd’hui, on est dans un monde où il n’y a plus de place pour cette lenteur-là, qui est pourtant nécessaire, et c’est cela qui est dangereux.

Propos recueillis par Sarah Kermen et Morgane Viguet