Rencontre avec Mustapha Bouhaddar, écrivain marocain aux mille inspirations
Soumis par Anonyme le mar, 01/25/2011 - 22:36Quelques semaines avant la parution de son nouvel ouvrage Exil amer, Mustapha Bouhaddar a accepté de nous parler de son rapport à la littérature et à l'écriture. Une douce invitation au voyage...
MCEI : Mustapha Bouhaddar, vous avez eu un parcours universitaire assez atypique dans la mesure où vous avez suivi deux voies que l'on a tendance à opposer aujourd'hui : la littérature et les mathématiques. Parlez-nous de ce choix-là.C'est un choix atypique par rapport à notre époque. Mais si l'on remonte aux siècles précédents, un grand nombre de savants était à la fois scientifiques et littéraires. Je prends l'exemple d'Omar Khayyam, savant persan du XIIe siècle, qui était mathématicien, philosophe et poète. Autre exemple, celui de Blaise Pascal, qui était à la fois mathématicien, physicien, inventeur, philosophe, moraliste, théologien. Pas de disciplines marquées, cloisonnées, comme cela peut l'être maintenant. Aujourd'hui, nous avons malheureusement tendance à mettre les gens dans des cases.
En ce qui me concerne, même si j'ai eu cette double formation, j'ai tout de même une large préférence pour la littérature. Les mathématiques sont synonymes de rigueur : 2 + 2 = 4. En littérature, on aura tendance à dire : "Et pourquoi pas 6 ?" Les mathématiques obéissent à des lois sous forme de théorèmes et de postulats. Alors que la littérature nous offre une liberté totale, on peut se laisser guider par son imagination. Le temps et l'espace n'ont pas de limites.
MCEI : Qu'est-ce qui vous a donné ce goût pour la littérature ?
Cela remonte à mon enfance. Je passais mes vacances scolaires dans le Haut Atlas marocain auprès de mes grands-parents. Les soirs d'été, après le dîner, nous avions l'habitude de nous rassembler sur les toits des maisons qui faisaient guise de terrasses, et ce, autour d'un thé à la menthe. Mon grand-père nous racontait alors des histoires orales que lui racontait sa mère lorsqu'il était adolescent. Ces histoires étaient très métaphoriques, elles décrivaient la vie des Berbères, leur quotidien. Mes préférées sont celles qui parlent de l'amour et des désastres qu'il peut causer. Mais, outre cette tradition orale berbère, je lisais également beaucoup. Mon père me ramenait de nombreux ouvrages que lui donnaient ses clientes (il tenait une boutique d'alimentation et faisait des livraisons à domicile). Enfant, j'ai ainsi découvert Balzac et beaucoup d'écrivains du XIXe siècle, j'adorais cela !
Cependant, comme j'étais bon en mathématiques, mes enseignants m'avaient vivement conseillé de m'orienter vers des études scientifiques, avec l'idée que la littérature ne me mènerait à rien... J'ai alors suivi leur conseil.
C'est plus tard, après avoir fait la rencontre de personnes baignées dans le monde de la littérature et des sciences humaines, que m'est venue l'envie d'aller plus loin, de ne plus être frustré par ce manque. C'est ainsi que j'ai décidé de m'inscrire dans un cursus de littérature à l'université.
MCEI : Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ?
L'écriture, c'est une thérapie pour moi. Cela me permet de faire des économies ! Au lieu de parler à quelqu'un qui m'écouterait et me demanderait de payer ensuite, je me suis dit : "pourquoi ne pas écrire ?" Et je me suis lancé.
Tahar Ben Jelloun disait : "j'écris pour briser le silence". J'adore cette phrase. L'écriture me permet de dire mon ras-le-bol. Je ne suis, en revanche, pas d'accord avec l'écrivain américain Paul Auster qui a écrit quelque part la chose suivante : "l'écriture est occupation solitaire qui accapare votre vie. Dans un certain sens, un écrivain n'a pas de vie propre. Même lorsqu'il est là, il n'est pas vraiment là."
Le seul moment où je me sens vraiment bien, c'est lorsque j'écris. Cela me permet également de canaliser ma fureur. Je suis quelqu'un de très nerveux. Ecrire me calme.
MCEI : Vous êtes-vous très tôt fait lire ?
J'ai toujours écrit pour moi-même. Amazir, mon premier roman, je l'ai écrit parce que j'étais arrivé à un âge où j'avais envie de parler de mes ancêtres, de rendre hommage aux gens de Tafraout, de mon pays, de mon sud marocain. J'ai écrit Amazir d'un seul jet. Mais j'ai beaucoup hésité avant de l'envoyer à un éditeur. J'ai, d'ailleurs, failli l'envoyer sous un pseudonyme. Finalement, j'ai décidé d'assumer et de mettre mon vrai nom sur la couverture.
MCEI : Dans Amazir, votre premier roman, nous voyons défiler vos souvenirs en quelque sorte.
Oui, mais il ne s'agit pas d'une autobiographie, c'est une "auto-fiction". D'ailleurs, au départ, l'éditeur m'a demandé si mon ouvrage pouvait porter l'étiquette "autobiographie", mais j'ai beaucoup insisté pour qu'il classe l'ouvrage dans la catégorie "roman". Dans Amazir, il y a beaucoup d'éléments qui sont tirés de ma propre expérience, mais il y en a d'autres qui sont romancés, voire qui ne me sont pas arrivés directement mais à des gens que j'ai pu rencontrer.
Mais Amazir, ce n'est pas seulement une succession de souvenirs personnels ou que l'on m'a racontés. J'y pointe du doigt certaines inégalités sociales qui me touchent particulièrement ainsi que la dureté de la vie quotidienne de certains de mes compatriotes. Dans Exil amer, mon prochain ouvrage, je pousse beaucoup plus loin dans la dénonciation de l'injustice sociale.
MCEI : Justement, est-ce qu'Exil amer est, comme Amazir, basé sur votre expérience ainsi que celle des personnes que vous avez pu rencontrer ?
Oui, bien sûr. Ce nouvel ouvrage a mûri pendant plusieurs années dans mon esprit. Lorsque j'étais adolescent, j'aidais mes parents, qui ne savaient ni lire ni écrire, à remplir leurs papiers administratifs. Et j'ai, dès ce moment-là, perçu la fragilité de ces personnes. Plus tard, j'ai fait du bénévolat, notamment auprès de personnes immigrées qui, également, avaient du mal avec leurs démarches administratives. Je les aidais aussi à lire les lettres qu'ils recevaient de leurs familles au pays (on a beau parler l'arabe, c'est autre chose que de savoir le lire et l'écrire).
Et là, je me suis dit qu'un jour, il fallait que j'écrive sur ces gens-là, parler de ces gens émigrés qui sont des gens courageux, qui travaillent, et qui ne sont pas seulement des assistés comme certains le pensent. Prenons l'exemple des travailleurs sans-papiers. Pourquoi acceptent-ils leur précarité ? Parce qu'ils ont une famille à nourrir au pays. Et en même temps, ces personnes, du fait même qu'elles soient sans-papiers, ne peuvent plus rentrer dans leur pays d'origine, à moins qu'on ne les régularise ou qu'on ne les expulse. Ce sont, comme je le dis dans mon ouvrage, des "proscrits", des exilés qui n'ont pas le choix. C'est le cas des réfugiés politiques également. J'ai écrit ce livre pour parler de ces gens-là.
MCEI : Sous quelle forme se présente ce nouvel ouvrage ?
Exil amer se présente sous la forme de quatre nouvelles, chacune mettant en scène des personnages exilés ayant la France pour dénominateur commun. La première nouvelle se base sur l'histoire de Malika, une jeune marocaine exilée en France. A travers ce personnage, je raconte l'histoire des immigrés, notamment maghrébins, qui vivent dans des foyers et qui rêvent de rentrer un jour chez eux, finir leurs derniers jours auprès de leurs proches - mais, hélas, il n'y a qu'une minorité qui réussit à le faire. La deuxième nouvelle, quant à elle, raconte le calvaire de Kadra, une immigrée somalienne. Pour la troisième nouvelle, je me suis inspiré de plusieurs faits-divers, notamment celui d'une jeune fille turque qui s'était fait lapider par sa famille pour être sorti avec un non-Turc. Enfin, la quatrième et dernière nouvelle s'intéresse aux réfugiés iraniens, s'axant notamment sur l'enfer que vivent les homosexuels en Iran.
MCEI : A qui s'adresse Exil amer ?
Je l'ai écrit pour des gens de votre génération, pour les jeunes qui sont nés dans les années 80/90, qui, pour la plupart, ignorent le parcours de tous ces immigrés que la France, par manque de main d'oeuvre, est allée chercher dans les pays du Maghreb et d'Afrique noire. Avant eux, il y avait des Polonais, des Italiens, des Portugais.
Tahar Ben Jelloun, dans son ouvrage la Plus haute des solitudes, parlait du "mythe du retour" qui hante l'esprit d'un certain nombre d'exilés qui, comme je l'ai dit précédemment, ne réussissent pas à retourner dans leur pays, par manque d'argent, ou encore pour des raisons de santé liées à la pénibilité des postes qu'ils occupaient. On me dira sûrement qu'il y a déjà énormément d'ouvrages qui traitent de l'exil. Certes, mais on ne parlera jamais trop de ces questions-là.
Pendant que j'écrivais Exil amer, je suis tombé par hasard, dans une bibliothèque, sur un ouvrage de Klaus Mann, le fils de l'écrivain allemand Thomas Mann. Ce livre, Escape to life - Fuire pour vivre - retraçait le calvaire des Juifs qui ont fui l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. En lisant ce livre, je n'ai pas pu m'empêcher de faire un parallèle entre ces réfugiés juifs et les sans-papiers. Les premiers vivaient dans la peur de croiser un agent de la Gestapo dans chaque coin de rue. Les seconds vivent dans la peur de se faire contrôler à la sortie d'une station de métro et de se faire expulser dans leur pays d'origine. Bien sûr, le parallèle s'arrête là dans la mesure où les réfugiés juifs risquaient clairement la mort.
Propos recueillis par Ilhem El Aidaoui