The Sound of Music : une répétition entre Histoire et Nature placée sous le signe de la jeunesse
Emilio Sagi disait, à propos de sa mise en scène de The Sound of Music au Théâtre du Châtelet : « Pour moi, la vraie dialectique est à chercher au cœur de la Nature et de la bonté, thèmes sous-jacents à l’histoire politique de l’œuvre. On ne peut adopter la position du " laisser faire, laisser passer " et ignorer les faits, ce serait fausser ce qui est raconté. J’ai donc voulu qu’on sente la présence nazie tout au long de l’œuvre avec pour point culminant sa présence dans la salle même, mettant le spectateur dans la position du choix qu’a dû faire la famille von Trapp : accepter ou dire non ». Cette interprétation du célèbre musical de Broadway a été remarquablement illustrée par la répétition à laquelle ont assisté les étudiants du Master MCEI le samedi 26 novembre.
La scène et les gradins sont plongés dans le noir. Seul un rai de lumière cru se déverse sur un immense drap rouge, estampillé de la croix nazie. La répétition n’a pas encore commencé, mais les étudiants sont saisis lorsqu’ils se retrouvent face à ce décor angoissant. Le ton est déjà donné : l’aspect politique de la pièce ne sera pas passé sous silence. Sous nos yeux, le drap écarlate est aspiré par une trappe située au centre de la scène, laissant place à un décor dominé par les couleurs de la nature autrichienne : le vert, le bleu et le blanc. Alors que les artistes se mettent en place pour répéter la scène du mariage de Maria avec le capitaine von Trapp, nous observons ce décor imposant. La prairie est encadrée par des colonnades et des murs peints aux couleurs de l’Autriche. Des montagnes, des nuages, des paysages bleutés se dessinent, et nous comprenons mieux alors les mots d’Emilio Sagi : « Le facteur " naturel " c’est la force de la montagne autrichienne, le rôle fondamental de la Nature, son aspect protecteur. J’ai donc décidé de faire entrer la montagne jusque dans la maison des von Trapp dont elle constitue le sol et les murs ».
Ce n’est qu’après la scène du mariage que commence réellement la répétition. L’intérieur de la maison des von Trapp investit l’espace scénique avec ses larges baies vitrées, ses canapés et ses fauteuils tapissés de blanc et de bleu, ainsi que son sol verdoyant. Nous assistons à l’entrée du soldat nazi Zeller, bientôt suivie de celle des enfants. L’avant-dernière scène est plus oppressante encore : Maria, le capitaine et les enfants se tiennent sur le devant de la scène, un rideau s’est baissé derrière eux. La mise en scène du concours de chant requiert la participation du public. Des acteurs déguisés en soldats nazis arpentent les allées entre les fauteuils vides pendant la prestation des von Trapp, ce qui laisse préfigurer le drame à venir… Et en effet, le concours de chant se clôt sur un vrai grabuge. Les von Trapp se sont enfuis, les lumières fouillent le public et nous éblouissent de façon désagréable tandis que les nazis courent dans tous les sens, à la recherche des fugitifs maintenant cachés sous le drap rouge que nous avions déjà vu. La dernière scène, qui finit sur un tableau très lyrique, est celle de la fuite des von Trapp. Ils sont aidés par l’abbesse dans leur entreprise.
La fin du spectacle est venue, mais les artistes ont encore le temps de répéter le début du deuxième acte. Les enfants sont assis sur des transats, à l’extérieur de la villa. Ils chantent mais se plaignent du départ de Maria à leur père. Ils sont d’autant plus heureux de voir leur gouvernante revenir, quelques instants plus tard ! La répétition se clôt sur la scène des retrouvailles du capitaine et de Maria.
Chaque scène est jouée trois fois, puisque trois groupes d’enfants se succéderont lors des représentations de The Sound of Music. Cette particularité demande beaucoup de travail aux artistes, mais aussi au metteur en scène et à ses assistants. Pour rester efficace, il faut rester concentré. Des éclats de rire se font entendre lorsqu’un petit garçon se trompe de porte, l’ambiance est détendue, la présence constante des enfants donnent à la répétition un aspect joyeux et léger. Mais les directives d’Emilio Sagi qui ponctuent le jeu nous rappellent que ce travail est avant tout extrêmement sérieux. Le pianiste s’entretient parfois avec les enfants, lorsque ceux-ci ont des difficultés avec un passage chanté. L’Orchestre Pasdeloup n’est pas présent à cette répétition : les scènes sont filées au piano. Les artistes ne portent pas leurs costumes, mais les décors imposants suffisent à nous mettre dans l'ambiance...
Travailler avec des enfants n'est pas chose facile. Mais en ce froid samedi de novembre, le sérieux s’inscrit dans une atmosphère joyeuse et détendue au Théâtre du Châtelet, préfigurant de belles représentations à partir du 7 décembre.
Laure Le Cloarec