"Je suis née en haut de l'échelle sociale, dans la bourgeoisie respectable, mais, depuis, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour dégringoler" Diane Arbus.


Le terrain de prédilection de Diane Arbus, photographe new-yorkaise des années 1960, est simple mais audacieux. Il se compose de la ville de New-York et de ses bas-fonds. Diane Arbus révolutionne la photographie contemporaine dans son exploration de l’intime. Elle ne cherche pas à transformer la réalité mais tente de la connaître dans tout ce qu’elle a de plus marginale. Ces photographies ont bien souvent provoqué le malaise. Bêtes de foire, homme percé d’épingles, femme « sans tête », musclors tatoués, et exclus de toutes sortes comme les drag-queens et les travestis, sont au centre de son art.


"Je vois la divinité dans les choses ordinaires"

 

Les modèles choisis sont certes des marginaux, mais ils ne restent pas moins des hommes, des femmes et des enfants. Le Jeune homme aux bigoudis, 20ème rue, surprend et attire le regard. Il semble bien illustrer l’œuvre de cette photographe de génie, captivée par le monde du déguisement, ayant ce don pour jeter le trouble sur l’identité d’un modèle.

Identité et apparence sont au cœur de cette photographie. Un homme y figure de face. Il semble être pris sur le vif, sans aucune mise en scène. Cet homme porte des bigoudis, a les ongles longs et faits. Il est maquillé. Il n’en demeure pas moins un homme. Rien n’est surfait, ni moqueur. Diane Arbus semble proche de son modèle au point de s’identifier corps et âme à ce jeune homme au regard égaré. La frontière entre le masculin et le féminin n’en demeure pas moins brouillée, mais par quoi est-on fasciné en contemplant cette photographie ? Par les bigoudis que porte le sujet ou par son expression stupéfaite ?

Le format rectangulaire de cette photo en noir et blanc emprisonne le modèle. Il est dès lors pris au piège tel un animal en cage. Aucune échappatoire n’est possible. Ce jeune homme est saisi au flash à bout portant. Il est instantanément foudroyé comme attrapé en plein vol. Son visage fardé est pâle et sa peau brille. On découvre les irrégularités de cette peau marquée et de ces yeux cernés. L’inconnu se trouve devant nous. Le spectateur est à côté de cet homme atypique et une barrière se casse avec le monde de l’étrange. On parvient au plus près de lui et de ce qui aurait pu gêner. Il n’y a plus de tabou ni d’interdit. La distance entre le modèle et le spectateur est réduite à néant. Son attitude expressive reflète le caractère immédiat de la photo, et plus généralement de la vie.

Photographie honnête, pleine de respect et d’émotion, symbole de l’Amérique des années soixante, à la fois puritaine et malade. C’est dans cette Amérique qui se cherche que Diane Arbus décide d’exposer le monde dans tout ce qu’il a d’exceptionnel et d’humain.

 

Apolline Flieg