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L'encadrement juridique des agences de notation par Jean CAPPELIE (avril 2014)
1. - La crise de 2007 a mis en lumière l’influence de la notation financière : en effet, les agences de notation ont un rôle fondamental au regard des opérations sur les marchés financiers et c’est pour cette raison que leur encadrement est devenu un sujet majeur dans la mesure où leurs pratiques ont montré leurs limites[1]. Les agences de notation sont donc régulièrement pointées du doigt et largement considérées comme étant responsables des maux qui entourent les marchés depuis plus de six ans. Responsables car les agences de notation fonctionnent sur le système de l’émetteur-payeur, par opposition au système de l’investisseur-payeur utilisé avant les années 2000. Le système de l’émetteur-payeur est relativement simple : les émetteurs qui souhaitent être notés recourent aux services des agences en rémunérant ces dernières, d’où le fait que les notes attribuées soient contestées pour défaut d’indépendance. A ce titre, il convient de souligner qu’il n’existe ainsi aucune relation contractuelle entre un investisseur sur les marchés et les agences qui, par l’intermédiaire de leurs notes, vont influencer la décision dudit investisseur.
2. – La crise des subprimes, le risque de défaut de la Grèce, ou encore la dégradation de la note des dettes souveraines de certains Etats sont autant d’éléments qui ont milité pour un nécessaire encadrement de l’activité des rating agencies en vue d’instaurer une plus grande transparence, un contrôle plus efficace et faciliter la mise en œuvre de leur responsabilité. Néanmoins, depuis 2007, rares sont les situations dans lesquelles la responsabilité des agences a été recherchée, encore plus rares sont celles dans lesquelles les agences de notation ont été réellement sanctionnées. Les initiatives afin d’encadrer le secteur du rating se sont multipliées, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, sans oublier les travaux du G20. Cependant, malgré l’existence de textes visant explicitement les agences de notation et prévoyant également leur poursuite, leur condamnation semble encore hypothétique. Pour cette raison, une question essentielle se pose : de quelle manière l’encadrement juridique des rating agencies a-t-il évolué depuis 2007 ?
I. Le développement d’un corpus normatif relatif aux rating agencies
Le développement des normes visant à encadrer les agences de notation s’est effectué par l’intermédiaire des législations européenne et américaine, auxquelles il faut ajouter les engagements du G20. Les principaux objectifs visent à réduire le recours systématique aux notations des agences afin d’accroître la transparence dans ce secteur et renforcer la concurrence. Enfin, il s’agit surtout de responsabiliser les agences de notation quant à leurs activités.
1.1.1 Réduire la dépendance des acteurs du marché au rating
4. - Le recours des acteurs du marché au rating est avant tout un problème financier structurel : nombreux sont les acteurs économiques ayant délaissé l’évaluation financière interne pour s’en remettre quasi-uniquement aux agences de notation. Cette confiance aveugle des acteurs financiers dans les indications des agences de notation met donc tout simplement en relief leur dépendance vis-à-vis de ces dernières. A cet égard, peu après la crise de 2007, le législateur européen constatait dans le règlement (CE) n°1060/2009 que « de l’avis général, les agences de notation de crédit ont échoué, d’une part à refléter suffisamment tôt la dégradation des conditions de marché dans leurs conditions de crédite et d’autre part, à adapter à temps leurs notations de crédit alors que la crise sur le marché s’était aggravée »[2]. Cette constatation a ainsi mis en lumière l’absence de réactivité des agences face aux changements du marché, les agences étant alors suivies par tous les acteurs financiers. Pour éviter qu’une telle situation se reproduise, il apparaît donc nécessaire que les acteurs économiques aient une dépendance moindre à l’égard des rating agencies.
5. - Pour cette raison, le Financial Stability Board, crée à l’occasion du G20 de Londres en 2009, incite les participants du marché à développer leur propre méthode d’évaluation des risques de crédit. Sous entendu, toute utilisation des notations des agences par un acteur du marché ne doit pas être systématique[3]. Les Etats-Unis et l’Union Européenne ont ainsi pris des mesures significatives afin d’éviter un recours permanent aux agences de notations. Le Dodd-Frank Act est particulièrement intransigeant sur ce point car il exige, en sa section 939A, que les organismes fédéraux américains arrêtent de recourir aux notations des agences et qu’ils se basent sur des normes plus appropriées afin d’évaluer un risque[4]. L’Union Européenne agit dans le même ordre d’idées puisque, conformément aux engagements pris par le G20, les nouvelles dispositions issues du règlement (UE) n°462/2013 et plus particulièrement l’article 5bis de ce dernier, prévoit que les acteurs financiers doivent évaluer eux-mêmes « les risques de crédit et ne recourent pas exclusivement ou mécaniquement à des notations de crédit pour évaluer la qualité de crédit d’une entité ou d’un instrument financier »[5].
1.1.2 Renforcer la concurrence et accroître la transparence
6. - En avril 2013, l’Organisation internationale des commissions de valeurs (IOSCO) a fourni au G20 un rapport relatif à l’amélioration de la transparence et de la concurrence dans le secteur de la notation financière. Au sujet de la concurrence, il apparaît que la domination des trois plus grandes agences de notation continue (Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch). Conséquence, les petites agences de notation indépendantes ne peuvent pas s’immiscer dans l’énorme marché contrôlé par la troïka et sont donc obligés de se concentrer sur des niches ou des émetteurs qui ne sont pas notés par le trio dominant[6]. Ici aussi, il s’agit d’un problème structurel du marché dans la mesure où une véritable concurrence entre le plus petit et le plus grand dépend fortement du fait de convaincre les investisseurs que les notations des « petites » agences sont de qualité, l’investisseur pouvant alors à son tour inciter l’émetteur à recourir aux agences de plus petite taille[7].
7. - Renforcer la concurrence dans le secteur du rating est d’ailleurs l’une des principales motivations ayant conduit au règlement (UE) n°462/2013 du 21 mai 2013. En effet, sur un marché dominé par trois agences, le renforcement de la concurrence doit nécessairement s’accompagner de mesures visant à encourager un recours à des agences de plus petite taille[8]. En observant le marché des notations, un élément saute aux yeux : les agences et les entités notées entretiennent des relations d’affaires à long terme et cela fait naître un risque de familiarité[9]. Autrement dit, les agences de notations mandatées et rémunérées par l’émetteur peuvent être amenées à émettre des notations exagérées et favorables au sujet de tel titre ou telle entité dans le seul but de préserver leur relation d’affaires avec cet émetteur. Il n’y alors qu’un pas à franchir pour faire naître un conflit d’intérêts[10]. La concurrence est ainsi mise à mal et les agences de plus petite taille sont dans l’impossibilité de pénétrer un marché opaque alors même que leurs notations peuvent être de meilleure qualité.
8. - Même son de cloches du côté américain puisque c’est la transparence des méthodes des agences qui doit permettre une meilleure concurrence sur le marché, ces dernières allant de pair. A ce titre, le Dodd-Frank Act oblige les agences à publier leurs méthodologies et les performances de leurs notes. En plus de cela, les agences doivent rendre publiques leurs hypothèses de travail et les données sur lesquelles elles se basent[11]. En fournissant ce « testament », la transparence est accrue, tout comme la concurrence dans la mesure où les émetteurs peuvent alors comparer les pratiques des différentes agences, que celles-ci soient importantes ou de plus petite taille.
9. - Quant à elle, l’Union Européenne est allée plus loin au sujet de la transparence : en outre, afin d’éviter une désorganisation des marchés, les rating agencies doivent mettre en place un calendrier indiquant les dates où l’émetteur sera noté. Cette règle ne concerne que les notations des dettes souveraines. Aux fins de la transparence, les agences de notation de crédit sont tenues d’expliquer dans leurs rapports les facteurs principaux sous-tendant les notations[12]. Egalement, au sein de l’Union, les agences ne pourront publier leurs notes que le vendredi soir, après la fermeture des places boursières. Opérationnelle en juin 2015, c’est sur la plateforme européenne de notation que lesdites notes devront être publiées[13]. Le but est d’améliorer la visibilité de la notation de tout instrument financier et de permettre aux investisseurs d’effectuer plus facilement leur propre évaluation du risque de crédit et par la même occasion, de contribuer au développement de la diversité de la notation financière[14]. Ce souci de transparence est donc lié à un renforcement de la concurrence dans le secteur de la notation afin que l’émetteur dispose d’une information ciblée et aussi, afin de rétablir une certaine stabilité financière.
1.1.3 Responsabiliser davantage les agences quant à leurs activités
10. – Afin de faire face aux défaillances nées suite à la crise des subprimes, le règlement européen (CE) n°1060/2009 a mis en place un système d’enregistrement et de surveillance des agences de notation de crédit qui souhaitent voir leurs évaluations utilisées à des fins règlementaires au sein de l’Union Européenne. Le règlement (UE) n°511/2011 a complété ce mécanisme en transférant à l’Autorité Européenne des marchés financiers le contrôle et les sanctions susceptibles d’être prononcées à l’égard des agences[15], les autorités nationales étant alors déchargées. Si le règlement (CE) n°1060/2009 a bien crée une responsabilité administrative à l’égard des agences de notation, il n’a en revanche instauré aucun régime de responsabilité civile particulier à l’égard des agences de notation.
11. - Les nouvelles règles issues du règlement (UE) n°462/2013 sont donc venues modifier ce manque de clarté et ce qu’il fallait entendre par « responsabilité civile ». A cet effet, l’article 35bis dudit règlement prévoit que « lorsqu’une agence de notation de crédit de manière intentionnelle ou par négligence grave, a commis l’une des infractions énumérées à l’annexe III et que cette infraction a eu une incidence sur une notation de crédit, un investisseur ou un émetteur peut demander réparation à cette agence de notation de crédit pour le préjudice qu’il a subi au sujet de cette infraction »[16]. Le point important concerne avant tout le fait qu’un investisseur ou un émetteur peut subir un préjudice. L’objectif est donc de responsabiliser davantage les agences de notation. Si un investisseur/émetteur s’est basé sur une notation pour investir et que cette notation lui a causé un préjudice par la suite[17], il aura droit à réparation et pourra engager la responsabilité de l’agence. Toutefois, en pratique, prouver une faute ou une négligence de l’agence n’est pas chose aisée (point développé infra).
12. - Si le droit européen a fortement été influencé par les initiatives de leurs homologues américains, qu’en est-il réellement de la législation relative au rating dans le pays de l’ultra libéralisme ? Auparavant, la Cour Suprême estimait que les notations étaient de libres opinions protégées par la liberté d’expression et ne pouvaient être sanctionnées. Cependant, le choix du législateur américain a été parfaitement clair : le Dodd-Frank Act prévoit désormais que la responsabilité peut être recherchée dès lors que l’agence a négligé ou omis soit de mener un examen raisonnable des éléments factuels, soit d’obtenir une vérification raisonnable des éléments factuels par une source indépendante[18]. Si aucun cas ne fait encore jurisprudence, une affaire pourrait bientôt changer la donne puisque la justice australienne a récemment condamné Standard & Poor’s à dédommager des collectivités locales pour « notation trompeuse », au sujet de produits toxiques ayant été notés par la note maximale (AAA) et causant aux collectivités une perte de 90% par rapport au capital investi[19]. Cette affaire, qui reconnaît pour la première fois la responsabilité d’une agence de notation, pourrait donner des idées en Europe ou aux Etats-Unis, mais la mise en œuvre de la responsabilité des agences est encore délicate.
II. Des difficultés persistantes quant à la mise en œuvre de la responsabilité des rating agencies
Malgré les efforts fournis pour encadrer au mieux les agences de notation et pouvoir sanctionner ces dernières, engager leur responsabilité s’avère toujours autant compliqué. D’une part, il faut avant tout savoir quelle faute il convient d’imputer aux agences de notation. D’autre part, les agences de notation ont pris la fâcheuse tendance de limiter leur responsabilité. Enfin, il convient de souligner que les rating agencies opèrent une « délocalisation » du droit.
2.1.1 Juridiquement, quelle faute pour les agences ?
13. - Le règlement (CE) n°1060/2009 ne traitant pas de la responsabilité des agences de notation, le règlement (UE) n°462/2013 est venu apporter davantage de précisions évoquées supra. Ce dernier vise explicitement la responsabilité civile des agences de notation, mais cette responsabilité doit toujours être appréhendée au regard du « droit national applicable ». En dépit du manque d’harmonisation de la législation européenne, le législateur français avait quant à lui déjà pris les devants dès 2011 puisque l’article L.544-5 du Code monétaire et financier prévoit que les rating agencies peuvent voir leur « responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle » engagées pour « les fautes et manquements commis par elles […] dans la mise en œuvre des obligations définies dans le règlement n°1060/2009/CE »[20]. Par cette formule, le législateur français introduit ainsi le principe d’une responsabilité pour faute des agences de notation sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil[21]. Les conditions classiques doivent alors être réunies : une faute (imprudence ou négligence), un préjudice et un lien de causalité. En ce sens, les nouvelles règles du droit français n’imposent pas réellement un régime spécial de responsabilité civile à l’égard des agences de notation, mais plutôt l’application du droit commun relatif à la responsabilité délictuelle. Il s’agit par conséquent de retenir une responsabilité extracontractuelle à l’égard des agences de notation : en cas de violation du règlement européen, la responsabilité est de nature délictuelle, peu importe l’existence d’une relation contractuelle avec l’émetteur[22]. Quant à l’articulation entre le régime juridique français et le régime de responsabilité européen, il convient de souligner que le premier offre davantage de protection à l’émetteur puisqu’une faute simple est suffisante pour engager la responsabilité de l’agence de notation, tandis que le règlement européen (UE) n°462/2013 exige une négligence grave ou un acte intentionnel, plus complexe à caractériser. De ce fait, le régime juridique français est plus souple, mais il faut garder à l’esprit que le droit européen prime sur le droit français.
14. - Cependant, la preuve d’une faute commise par l’agence de notation est un exercice périlleux. En ce qui concerne la faute, une erreur de notation pourrait être suffisante afin d’engager la responsabilité de l’agence. Néanmoins, il s’agirait là d’évincer le principe même de la notation qui consiste à envisager des évènements futurs ayant un caractère aléatoire. Entre faute et mauvaise prédiction des évènements futurs, la frontière est particulièrement incertaine[23]. C’est pour cette raison que le législateur français vise, au sein de l’article L.544-5 du Code monétaire et financier, « tout manquement ou faute commis dans la mise en œuvre des obligations définies par le règlement n°1060/2009 ». La faute de l’agence de notation interviendra que s’il est démontré que telle ou telle erreur n’aurait pas été commise par une agence raisonnable et prudente. Et quand bien même l’existence d’une faute de l’agence serait démontrée, cela est insuffisant car il faut également prouver l’existence d’un préjudice en lien avec ladite faute, tâche tout aussi délicate.
15. - Notons également que la responsabilité des agences de notation peut être engagée sur le plan pénal, en application des règles liées aux marchés. Existe ainsi en droit pénal français, le délit d’initié, le délit de manipulation de cours et le délit de fausse information[24], incriminations applicables à tous les intervenants du marché. Si les deux premières hypothèses ne posent pas de réelles difficultés, la question est plus délicate en ce qui concerne la fausse information, notamment l’émission d’une information par le biais d’une note erronée. Ceci influencera forcément la prise de décision des investisseurs sur le marché. Ainsi, si une agence communique une fausse information, il est possible de la sanctionner car l’information est inexacte et/ou trompeuse, la décision de l’investisseur étant alors faussée puisqu’il n’aurait pas agi de la même manière si l’information s’était révélée correcte[25]. A ce titre, le délit de fausse information est puni d’une peine d’emprisonnement de deux ans et d’une amende de 1 500 000 euros et 7 500 000 euros pour les personnes morales[26].
2.1.2 Le recours aux clauses limitatives de responsabilité
16. - En pratique, les clauses qui aménagent la responsabilité des agences de notation sont très fréquentes, ces dernières cherchant toujours à limiter leur responsabilité. Ceci s’explique par le caractère aléatoire de leur activité. Face à un émetteur qui considère que la note qui est lui attribuée est trop basse, une agence de notation peut-elle se réfugier derrière une clause contractuelle afin d’éviter que sa responsabilité soit mise en jeu ? Sur ce point, le règlement (CE) n°1060/2009 s’était prononcé dans son considérant 35 de la manière suivante : « les agences de notation de crédit devraient prendre des mesures de nature à garantir la fiabilité des informations qu’elles utilisent […] de prévoir des dispositions contractuelles stipulant clairement l’engagement de l’entité notée ou de ses tiers liés, s’ils savaient que les informations fournies en vertu du contrat étaient fausses sur le fond ou trompeuses s’ils n’ont pas fait preuve, comme le prévoyait le contrat, d’une vigilance raisonnable concernant l’exactitude de ces informations »[27]. Le règlement (UE) n°462/2013 n’a quant à lui apporté aucune modification relative à cette disposition.
17. - Si la législation européenne a un caractère nuancé, ce n’est pas le cas du législateur français car celui-ci a tenu à réagir face aux pratiques des agences de notation en matière de limitation de responsabilité[28]. C’est ainsi que l’article L.544-6 du Code monétaire et financier dispose que « les clauses qui visent à exclure la responsabilité des agences de notation mentionnées à l’article L.544-5 sont réputées interdites et non écrites »[29]. La formule est sans équivoque, de même que son effet : la clause disparaît et le contrat est maintenu pour le reste. Néanmoins, cette disposition a une portée moindre que celle qui lui était prévue à l’origine dans le projet de loi[30]. Ici, une distinction s’opère entre les clauses exclusives de responsabilité et les clauses limitatives de responsabilité. En effet, le législateur français rend non écrite les clauses qui excluent toute responsabilité des agences de notation, ce qui n’est pas le cas des clauses limitatives de responsabilité, initialement prévues dans le projet de loi. Autrement dit, les clauses limitatives de responsabilités restent soumises au droit commun et pour être réputées non écrites, il faudra alors nécessairement prouver une faute lourde ou dolosive[31].
18 - L’objectif du législateur était donc de limiter le recours aux clauses exonératoires de responsabilité puisque ces dernières étaient considérées comme un obstacle majeur, la responsabilité des rating agencies ne pouvant être mise en œuvre. Cette interdiction des clauses exonératoires de responsabilité conduit ainsi les agences à faire face à leur responsabilité. Néanmoins, son effet est limité au droit français. De ce fait, en l’absence de tout référence à une loi de police, il sera toujours possible de prévoir des clauses exclusives de responsabilité, les agences pouvant alors décider de recourir à un droit autre que le droit français[32]. Tel est le cas de Moody’s puisque, suite à l’adoption des articles L.544-5 et suivants du Code monétaire et financier, Moody’s demande désormais à tous les émetteurs français de signer des contrats soumis au droit britannique[33]. L’agence estime que l’environnement juridique français est trop incertain et si un contentieux venait à naître, outre le fait de faire naître un conflit de lois, il ne manquerait pas également de faire naître un conflit de juridiction.
2.1.3 Le problème des clauses de juridiction
19. - Une dernière difficulté se dresse quant à la mise en œuvre de la responsabilité des rating agencies et celle-ci s’explique notamment par le fait que leur activité revêt un caractère mondial. Ainsi, la détermination du droit applicable et de la juridiction compétente dans l’hypothèse d’un contentieux pose des difficultés. Le processus de notation n’est pas cantonné à un seul territoire puisque la notation peut influencer divers investisseurs situés dans plusieurs Etats distincts. Etant essentiellement d’origine anglo-saxonne, les agences de notation prévoient très souvent dans leurs contrats une référence au droit de l’Etat de New-York ou au droit britannique, idem en ce qui concerne les juridictions compétentes, celles-ci étant majoritairement les juridictions britanniques[34], les agences de notation jugeant ces dernières plus favorables à leurs activités que les tribunaux français. Les dispositions de l’article L.544-5 du Code monétaire et financier semblent a priori remédier à ce problème. Ainsi, « tout accord ayant pour effet de soumettre, par avance et exclusivement, aux juridictions d’un Etat tiers à l’Union Européenne un différend relatif aux dispositions du règlement (CE) n°1060/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, précité, alors que les juridictions françaises auraient été compétentes pour en connaître à défaut d’un tel accord, est réputé nul et non écrit »[35].
20. - Cependant, l’objectif du législateur, à savoir soumettre aux juridictions françaises selon les règles françaises les conflits intervenant entre un investisseur français et une agence de notation, ne peut pas être réellement atteint[36]. La situation prévue par le Code monétaire et financier ne concerne que les Etats tiers à l’Union Européenne. Les agences de notation se trouvant dès lors totalement libres de soumettre leurs litiges, par exemple, aux juridictions britanniques si elles estiment que ces dernières leur apportent davantage de garanties que les juridictions françaises vis-à-vis de leurs activités. Dans cette hypothèse, encore faut-il que la clause attributive de juridiction soit exclusive. A l’inverse, une clause attributive de juridiction prévoyant une option entre les juridictions d’un Etat membre de l’Union et celles d’un Etat tiers, tel que le Canada par exemple, devrait permettre d’échapper à la compétence des juridictions françaises[37].
21. - Mais, plus étonnant encore, les articles L.544-5 et suivants du Code monétaire financier laissent les parties, agences de notation et émetteur, libres de soumettre leur convention au droit de leur choix. Ce choix est fréquemment à l’initiative des rating agencies qui choisissent ainsi un droit autre que le droit français. Les agences de notation opèrent donc une « délocalisation » par le droit. Comme le souligne le Sénat français, « l’intention du législateur était que les conflits qui opposent un émetteur ou un investisseur français à une agence de notation soient jugés devant les juridictions françaises et selon les règles du droit français. Il n’est cependant pas possible, compte tenu des engagements internationaux, d’imposer de telles clauses dans les contrats »[38]. Ainsi, malgré ces règles et l’absence d’harmonisation de la législation, qu’il s’agisse de la législation européenne en elle-même ou bien le droit interne des Etats membres, les agences de notation peuvent continuer de se placer sous le régime qu’elles estiment le plus « favorable ».
Références.
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Public Law 111-203, Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act, 21 juillet 2010
Parlement Européen, Règlement (UE) n°462/2013, 21 mai 2013
Parlement Européen, Directive 2013/14/UE, 21 mai 2013
Code monétaire et financier, version en vigueur au 1er janvier 2014
N. GAILLARD, Les agences de notation, Paris, La Découverte, 2010
M. AUDIT, « Aspects internationaux de la responsabilité des agences de notation », Revue critique de Droit international privé, ISSN 0035-0958, volume 100, n°3, 2011
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Rapport d’information du Sénat français n°598, Agence de notation : pour une profession règlementée, 2012
Rapport de l’Autorité des Marchés financiers (AMF) sur les agences de notation, 2010
Financial Stability Board, Credit Agencies Reducing reliance and strenghtening oversight, 2013
Financial Stability Board, Overview of Progress in the Implementation of the G20 Recommendations for Strengthening Financial Stability, 2013
Alternatives Economiques n°319, « Agences de notation : Standard & Poor’s condamnée en Australie », décembre 2012
[1] N. GAILLARD, « Remettre la notation financière à sa juste place », Institut Montaigne, 2012
[2] Parlement Européen, Règlement (CE) n°1060/2009, 16 septembre 2009
[3] Financial Stability Board, Credit Agencies Reducing reliance and strenghtening oversight, 29 août 2013
[4] Public Law 111-203, Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act, 21 juillet 2010
[5] Parlement Européen, Règlement (UE) n°462/2013, 21 mai 2013
[6] Financial Stability Board, Credit Agencies Reducing reliance and strenghtening oversight, 29 août 2013
[7] Ibid.
[8] Parlement Européen, Règlement (UE) n°462/2013, 21 mai 2013
[9] Ibid.
[10] A. DARBELLAY et F. PARYNOY, « Agences de notation et conflits d’intérêts », Revue d’économie financière, 2012
[11] N. GAILLARD, « Remettre la notation financière à sa juste place », Institut Montaigne, 2012
[12] Parlement Européen, Règlement (UE) n°462/2013, 21 mai 2013
[13] Ibid.
[14] Commission Européenne, Communiqué de presse, 18 juin 2013
[15] Ibid.
[16] Parlement Européen, Règlement (UE) n°462/2013, article 35 bis, 21 mai 2013
[17] Ibid.
[18] Rapport d’information du Sénat français n°598, Agence de notation : pour une profession règlementée, 11 juin 2012
[19] Alternatives Economiques n°319, « Agences de notation : Standard & Poor’s condamnée en Australie », décembre 2012
[20] Code monétaire et financier, article L.544-5, version en vigueur au 1er janvier 2014
[21] A.D. MERVILLE « La responsabilité civile, pénale, administrative des agences de notation », Revue Droit bancaire et financier n°3, LexisNexis, 2013
[22] A.D. MERVILLE « La responsabilité civile, pénale, administrative des agences de notation », Revue Droit bancaire et financier n°3, LexisNexis, 2013
[23] X. CLEDAT, « Agences de notation : la délicate mise en œuvre de leur responsabilité civile », Revue Lamy Droit civil, n°96, 2012
[24] Ibid.
[25] Ibid.
[26] Code monétaire et financier, article 465-2, version en vigueur au 1er janvier 2014
[27] Parlement Européen, Règlement (CE) n°1060/2009, 16 septembre 2009
[28] I. TCHOTOURIAN, « Agences de notation : encadrement et responsabilité », Bulletin Joly Bourse, n°2, 2011
[29] Code monétaire et financier, article L.544-6, version en vigueur au 1er janvier 2014
[30] I. TCHOTOURIAN, « Agences de notation : encadrement et responsabilité », Bulletin Joly Bourse, n°2, 2011
[31] Ibid.
[32] X. CLEDAT, « Agences de notation : la délicate mise en œuvre de leur responsabilité civile », Revue Lamy Droit civil, n°96, 2012
[33] Rapport d’information du Sénat français n°598, « Agence de notation : pour une profession règlementée », 11 juin 2012
[34] X. CLEDAT, « Agences de notation : la délicate mise en œuvre de leur responsabilité civile », Revue Lamy Droit civil, n°96, 2012
[35] Code monétaire et financier, article L.544-5, version en vigueur au 1er janvier 2014
[36] X. CLEDAT, « Agences de notation : la délicate mise en œuvre de leur responsabilité civile », Revue Lamy Droit civil, n°96, 2012
[37] Ibid.
[38] Rapport d’information du Sénat français n°598, Agence de notation : pour une profession règlementée, 11 juin 2012