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« @Proust : je te follow et je retweete »

Brillante farce pour les uns, intolérable hérésie pour les autres : la twitterature, qu’es-aco ? C’est le pari (raté ?) de deux étudiants américains de l’Université de Chicago cherchant à tromper leur ennui. Ils s’appellent Alexander Aciman et Emmett Rensin, vingt ans, et se sont lancé ce défi : retranscrire des chefs-d’œuvre de la littérature en quelques tweets, courts messages de 140 signes maximum. Périlleux, vous dites ? Qu’importe, l’entreprise est « 100 % humoristique », affirment les deux jeunes gens. Et elle a suscité son petit intérêt médiatique. A la clef, la publication du livre chez Penguin.

Twitter, réseau social qui s’inscrit dans la tendance actuelle de l’immédiateté et du narcissisme, joue la carte du rapide et du bref, du précis et du concis. Chaque message est limité à 140 caractères — espaces comprises — et pas un de plus. A partir de ces contraintes, Emmett et Alexander ont donc imaginé de résumer quelques-unes des plus grandes œuvres littéraires à quelques phrases. Avec cette règle impérative : pas plus de vingt tweets par œuvre. Le résultat ? Un vrai exercice de style, ou comment condenser à l’extrême les milliers de pages de La Recherche de Proust. Consommation rapide des romans de Jane Austen, concentré de Dostoïesky, Shakespeare pour en-cas : c’est l’avènement de la littérature lyophilisée.

Mais ne nous méprenons pas. Les grands romans ne sont pas seulement resserrés, essorés, vidés, sucés jusqu’à la moelle. Ils sont aussi réécrits et transposés à notre époque, à nos réseaux sociaux, et donc soumis à des tares nouvelles et à un langage sec. Désormais, ce sont les héros qui parlent. Ils prennent grossièrement la parole et brandissent le « je » comme une revanche sur leur auteur. Ils étalent tour à tour leurs malheurs, leurs peines, leurs aventures. Hamlet se transforme en « jeune homme branché »  qui utilise twitter. Etrange combinaison, donc, entre des héros littéraires classiques et des outils numériques nouvelle génération. La sauce parodique prend ou ne prend pas. Mais le tout est clairement iconoclaste.
Ainsi, sur la couverture, Candide de Voltaire : « Ce qui compte, c’est que la vie soit O.K. Il suffit de cultiver son jardin. Alors fermez-la, les mecs, et cultivez. » Hamlet, de Shakespeare : « Mon royal paternel n’est plus et personne n’en a rien à foutre. » Ou encore L’Etranger, de Camus : « Maman morte. Sais plus si c’était aujourd’hui ou hier. » De là à ce que certains se retournent dans leur tombe…

Au total, ce sont soixante-quinze chefs-d’œuvre qui y passent. « Chefs-d’œuvre » ? Que les amis des belles-lettres se tiennent bien : parmi les classiques du panthéon (Cervantès, Dante, Sophocle, Flaubert, Balzac, Stendhal ou autres Melville et Dickens), l’on compte quelques nouveaux venus, auteurs de sagas à succès de type Harry Potter et Twilight. De quoi satisfaire tous les publics.
Humour potache de rigueur, on l’a vu. Mais l’effet s’émousse vite. Pas de quoi crier au génie, donc. Pourtant, la démarche des deux jeunes étudiants en littérature a séduit un académicien qui signe leur préface française : Erik Orsenna. Motif : inciter les plus jeunes à découvrir les livres originaux, et rendre accessible la grande littérature. Raisonnement à l’envers toutefois, puisqu’il vaut mieux connaître les œuvres classiques pour juger de la qualité des pastiches, et parfois les apprécier.

Avec une traduction française plutôt  décevante et maladroite, la parution en livre aux éditions Saint-Simon suscite autant hilarité qu’indignation chez les lettrés ; la contrainte de l’exercice qui devenait « prouesse » sur twitter perd son sens une fois imprimée pour revêtir un caractère absurde.

Alexander Aciman, Emmett Rensin, Twitterature : the World’s Greatest Books Retold Through Twitter, Londres, Penguin Books, octobre 2009.
Alexander Aciman, Emmett Rensin, La Twittérature, les chefs-d’œuvre de la littérature revus par la génération twitter, Paris, Editions Saint-Simon, avril 2010.

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