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Au revoir l’auteur, bonjour les contributeurs…

 

 « Lscène se passe dans la bibliothèque Glacière du XIIIe arrondissement de Paris. Laurent est un jeune bibliothécaire tout juste diplômé de l’ENSSIB, école réputée de Lyon. Il est à l’accueil depuis près d’une heure maintenant, entouré de livres et installé devant l’ordinateur qui sert à enregistrer les prêts et les retours. Les lecteurs sont rares en ce mardi après-midi et il s’ennuie… déjà. » Ainsi débute le premier roman de Samuel Sainson, lui-même bibliothécaire, originaire de Grenoble. Premier roman ou plutôt autobiographie imaginaire puisque Laurent n’est autre que l’incarnation de l’auteur. Tout comme lui, c’est un passionné de littérature qui s’interroge sur la notion d’écrivain. Avec le développement du Web 2.0, cet Internet collaboratif où chacun est invité à contribuer à l’enrichissement des sites, c’est tout le monde de l’édition qui risque d’être remis en cause. Dans un univers davantage régi chaque jour par les nouvelles technologies, il se demande quel est l’avenir de l’écrivain. Comment vont évoluer ses pratiques, son rôle, sa place dans la culture ?

   Autant de questions que le lecteur est lui aussi amené à se poser, tout au long du roman, en suivant les péripéties de Laurent. En effet, gagné par l’ennui et le désintérêt professionnels, celui-ci décide de se lancer dans l’écriture, mais pas une écriture classique. Il s’agit pour lui d’inventer un nouveau mode de composition d’une œuvre littéraire. Contraint à rester assis derrière un écran, il veut tirer profit de la révolution Internet et tenter l’expérience de l’écriture collaborative. Il va d’abord créer, sur son propre blog, une plate-forme de rédaction virtuelle. Puis, il va lancer un appel à contribution à tous ses amis et aux amis de ses amis via le réseau social Facebook. C’est le début d’une grande aventure, riche en rebondissements et en rencontres réelles ou virtuelles. Laurent se trouve ainsi rapidement confronté aux problèmes techniques et psychologiques des participants. Entre les fichiers informatiques incompatibles et les dérives “scripturales”, il réinvente le métier d’auteur. Tour à tour, il se fait médiateur, modérateur, compilateur, voire professeur. A charge pour lui de sélectionner les textes, en prenant toujours soin de justifier ses choix, de les assembler sans froisser les susceptibilités, de les corriger en faisant preuve de pédagogie… sans oublier l’épineuse question des droits d’auteur.

   L’œuvre plurielle est donc véritablement “plurielle” puisque collective, colorée et pleine d’entrain. Samuel Sainson y invite le lecteur à voyager via le net. Il lui fait rencontrer de multiples personnages parmi lesquels chacun trouve à s’identifier. C’est le cas avec Bertrand, tout juste retraité. Après le décès de sa femme, il a décidé de quitter la Bretagne pour rejoindre son fils à New-York. Grand lecteur, cette expérience est pour lui l’occasion de se lancer un défi : relater sa découverte de la jungle urbaine américaine. Quant à Yun Sun, la mère du meilleur ami de Laurent, elle va utiliser ce projet pour tenter de contacter sa famille restée en Corée du Nord. Ainsi, l’émotion est au rendez-vous. Sans compter que Samuel Sainson tient son lecteur en haleine, lui faisant vivre avec Laurent, son héros, les différentes étapes d’une production éditoriale d’un nouveau genre. Dès les premières pages, le lecteur devine que la réalisation de cette œuvre sera laborieuse et jamais il n’a la certitude qu’elle aboutira. Pourtant, ce sera un succès et le premier exemplaire d’une longue série. On pourrait ajouter d’une série d’un genre nouveau, car Samuel Sainson présente ici les prémices de ce que sera, selon lui, le roman de demain. “Exit” le “Grand écrivain”, place à la coopérative d’auteurs “en herbe” qui écrivent une histoire commune, partagée et qui évolue au gré de leurs humeurs. Fini les intermédiaires (éditeurs, distributeurs, libraires…), place au réseau virtuel qui donne un accès planétaire et “open” à toutes les œuvres produites. Et là, à nouveau, le lecteur s’interroge : en signant L’œuvre plurielle, Samuel Sainson aurait-il sonné le glas du roman traditionnel ? Tout comme Laurent est le premier écrivain “compilateur”, Samuel Sainson serait-il le dernier écrivain “conventionnel” ?

   L’œuvre plurielle, c’est aussi un style journalistique par lequel Samuel Sainson relate les faits, tel un reporter. Il utilise des phrases simples, courtes et informatives. Un genre épuré et rapide qui correspond bien au rythme effréné de la vie d’aujourd’hui. Mais un genre qui semble parfois manquer de consistance. Dans certains passages, le lecteur reste sur sa faim. C’est le cas, par exemple, lorsque Samuel Sainson tente de décrire les relations complexes qui unissent Laurent et l’une des contributrices, Fanny, devenue au fil du temps sa petite amie. Serait-ce là un défaut de premier roman ? Qu’importe, l’essentiel est que le lecteur se sente au cœur de l’action et qu’il referme le livre avec le sentiment d’avoir beaucoup appris. Beaucoup sur la révolution numérique que vit notre société, beaucoup sur les changements sociaux qui affectent le quotidien de chacun d’entre nous, beaucoup sur l’univers de l’édition ici remis en cause.

   L’œuvre plurielle, c’est enfin la boucle qui est bouclée : quand un écrivain met en scène la vie d’un écrivain qui réinvente le métier d’écrivain.

 

L’œuvre plurielle, de Samuel SAINSON, Editions des temps futurs, 122 pages, 19,99 €

 

 

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