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critique d’une œuvre imaginaire.
Une mécanique bien remplie.
Préoccupations existentielles exprimées entre un abus d’alcool et la recherche active du « coup d’un soir ». Surmenage estudiantin – provisoirement – évacué par le « snif » de « poudre de fée » et autres injections illégales. Vie sentimentale qui ferait pâlir de jalousie les scénaristes des Feux de l’amour et autres Dawson : rien n’a été épargné à cet étudiant imaginé par Octave Desgenais, auteur du succès surprise – et controversé – de cette rentrée littéraire 2012, La Mécanique du vide – son premier livre. Pourquoi l’ouvrage mérite-t-il qu’on s’y attarde ?
Sans doute car malgré la propension visible – et assumée – de l’auteur à verser dans le cliché romantique facile, le roman s’élève au-dessus de la moyenne de ce que nous propose le marché actuel : sagas adolescentes à la sauce fantastico-guimauve, bestseller frenchies représentés par Musso et Lévy – sans aucune intention de notre part de fustiger les goûts littéraires présidentiels, évidemment. Ici il n’est pas question, par exemple, de papa revenu des morts sous la forme d’un robot pour aider sa fille à changer de vie (ah, « toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites » ; on en a encore les larmes aux yeux rien qu’en y pensant). On ne trouve pas non plus l’expression d’une certaine philosophie démagogique très en vogue, illustrée par les fameux « la beauté véritable est intérieure » ou « dans la vie rien n’est impossible ». On l’a compris, Octave n’adhère pas à TF1, même si elle passe à la HD pour offrir une meilleure visibilité à son regard myope. Une certaine presse reproche généralement à l’auteur la schizophrénie de son style, oscillant entre « l’intellectuel et le trash » ; on attaque ici et là son style « pathétique », « agressif » … Après lecture, quiconque admettra que toutes ces accusations sont fondées. Mais si ce livre choque tant les revues destinées aux-ménagères-de-quarante-ans-et-plus – ou aux midinettes-amatrices-de-pop-corn-et-rêvant-d’évasion (la superficialité n’accepte aucune discrimination, même relative au nombre des années) - c’est justement parce que, à un moment où la tendance est au conformisme pour toucher un large public, Octave fait preuve d’audace et impose sa propre patte.
« J’entends que l’intrigue de mon livre est tirée par les cheveux, qu’elle verse dans l’excès. […] Je n’ai cherché ni à plaire, ni à choquer pour autant : l’essentiel de La Mécanique du vide vient de mes propres expériences et de celles que m’ont contées mes camarades d’alors. J’ai simplement voulu faire réfléchir, étaler une réalité que certains ignorent ou feignent d’ignorer, quitte à passer pour un « intello » prétentieux ou frustré » : avec un tel projet de lecture, il n’est pas étonnant que les attentes de nos ménagères et autres midinettes ne soient pas satisfaites. Que dire du lecteur de roman de gare qui voulait se détendre dans le RER ? L’histoire est dense – peut-être trop – et paradoxalement il ne s’y passe pas grand-chose.
Résumons : un étudiant (Damien) un brin idéaliste débarque à l’université, fréquente des amis qui discourent sans fin sur la nécessité de changer le monde entre une cuite et une autre, découvre que ses études littéraires ne déboucheront pas sur grand-chose, rencontre sa « petite fée » (cliché aussi maladroit que touchant ; on pense à cet extrait où Damien compare l’injection d’héroïne au seul moyen de posséder en lui, « jusque dans [s]es veines, cette seule part de magie qui rendait la vie digne d’être vécue : [il] avai[t] littéralement [s]a petite fée dans la peau, même si dans une heure le réel reprendrait ses droits […].» ) et se met à sublimer le réel – avant d’être éconduit à maintes reprises : « Certains dialogues sont d’une stupidité revendiquée : je les ai complétés grâce au visionnage des rediffusions de Smallville (sic), mais ils sont hélas basés sur des citations réelles, entendues ou rapportées (!) »). Morceaux choisis : « Je l’aime et je t’aime aussi. Ne complique pas les choses. […] Le conflit est ancré en moi ». Racine se retourne dans sa tombe. L’avis du personnage sur les manifestations de 2009 contre les réformes universitaires, auxquelles il prend part sans conviction aucune, suffirait à lui-seul à étiqueter l’auteur – pour peu qu’on lui prête la psychologie de sa création - comme réactionnaire ; mais en même temps son cynisme nous fait sourire : « Nous marchons durant trois heures. […] Rentré chez moi avec la migraine je me demande si nous avons contribué au progrès social ou simplement aidé l’épicier du coin à écouler son stock d’alcool ». S’ensuivent des descriptions crues et sans illusion d’orgies auxquelles le héros participe pour tromper son ennui – la décence nous empêche toute citation. Jusqu’à ce que l’auteur décide qu’il est temps pour son héros de repartir symboliquement des 400 Coups de Truffaut plutôt que de persister dans la recherche de ses propres « 400 coups » potentiels, beaucoup plus triviaux et condamnables : il fausse compagnie à ses hôtes d’un soir pour contempler la mer avant de s’y jeter et de nager vers une destination inconnue (évocation un peu rapide de la fin du roman). Renaissance ? Retour à l’enfance ? La fin est ouverte.
« Ca veut dire quoi ? Y’a pas de fin ! J’ai rien compris !». Emilie, dix-sept ans, s’improvise critique sur le blog d’un grand quotidien et personnalise le cri d’une certaine foule. Une foule qui ne verra pas dans ce mouvement perpétuel caractérisant ici l’écriture de Desgenais, entre élan et chute, idéalisation et dépréciation, un écho à La Confession d’un enfant du siècle de Musset. Une foule qui n’aura pas relevé que l’absence de péripéties constituant l’œuvre renvoie à la construction de L’Education sentimentale de Flaubert. Une foule qui aura « vaguement » entendu le nom de ces auteurs au collège. « Le XIXème c’était mon truc à la fac. Tu crois que la moitié de mes lecteurs va comprendre la collusion ? Peu importe ; même s’ils ne retiennent que le sexe et la drogue au moins le bouquin leur aura parlé : dans mon for intérieur je me gausserai de leur avoir montré que la littérature, même distante de nous d’un ou plusieurs siècles, peut avoir un impact concret sur les mœurs de nos jours ».
Un livre à découvrir donc, qui pointe tel un signal d’alarme les risques qu’encourt notre jeunesse à se laisser happer sans combattre par la mouvance dépressive de notre actualité, qu’elle assimile facilement à celle de son existence personnelle. La Mécanique du vide est paradoxalement un des moyens qui pourrait l’aider à échapper à « la mécanique du vide ».
Nicolas Rosa.
La Mécanique du vide d’OCTAVE DESGENAIS
EDITION IMAGINAIRE, 220 pages, 14,99 €.