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Le crime parfait n'est pas celui qu'on croit !

 Pour son premier roman, Temps de chien pour une enquête, Marion Sudoul frappe fort en s'attaquant au genre très exigeant qu'est le roman policier. Elle nous emmène sur la piste du crime parfait à travers le portrait d'une famille bourgeoise d'aujourd'hui. Le résultat est tout simplement « bluffant ! »

 

Dans une belle demeure canavéroise, la famille de La Rosière mène une paisible existence bourgeoise. Michel, le père, collectionne les vieilles voitures et les belles femmes. Suzanne, sa femme, adore Dieu et, plus encore, le vin de messe. Quant aux trois enfants, ils n'échappent pas à la règle : Sixtine, quinze ans, fume des joins derrière l'église après les cours de catéchisme ; Charles, le cadet, assouvit sa passion pour les sciences naturelles en disséquant les animaux du voisinage ; et le petit dernier, Édouard, portrait craché de son père, collectionne les petites voitures et montre déjà un intérêt certain pour les fessiers féminins. Mais au décès d’Édouard, tout bascule pour ce petit monde, et les accidents mortels s'enchaînent chez les de La Rosière. Pour le commissaire Bolomco, chargé de l'enquête, toutes ces disparitions ne peuvent pas être le seul fruit du hasard et son investigation le mènera vers un coupable idéal. Mais le tueur n'est pas celui qu'on croit. La révélation sur son identité sonne comme un coup de tonnerre. C'est le crime parfait.

 

On apprécie la limpidité de l'écriture de cette jeune romancière de trente ans. L'apparente simplicité de la narration et l'utilisation de phrases courtes génèrent un rythme nerveux et soutenu qui nous tient en haleine de bout en bout. « Il était là. Sur les lieux du crime, de « son » crime. Invisible aux yeux de tous. Eux pleuraient, lui les méprisait. Un frisson de plaisir lui hérissa les poils. Il en était définitivement sûr. Son choix était le bon. » Ce mode d'écriture renforce la cruauté des meurtres et la mise en scène des mécanisme de la violence et de la haine. « C'était le joyau de sa collection. Sa chère et tendre Ford Mustang de 1970. Deux tonnes et demie tonnes de puissance et de perfection. À présent, elle lui brisait les os et lui broyait les tripes. Son sang, inondant sa gorge, l'empêchait de crier. [...] Lui, il n'avait pas bougé. Fort de son succès, il savourait ce macabre spectacle. » Tout au long du roman, l'auteur joue, avec ironie, sur le sort de ses personnages directement lié aux portraits qu'elle en donne le comble pour un collectionneur de voitures : mourir écrasé par le joyau de sa collection. L'efficacité de ses portraits, écrits au vitriol, suscite chez le lecteur un plaisir certain à détester les membres de la famille. Ce plaisir est renforcer par leur comportements odieux envers le commissaire Bolomco. Les relations épineuses entre le commissaire, issu d'un milieu modeste, et la famille de La Rosière, des bourgeois condescendants, rappellent certaines thématiques des oeuvres de Georges Simenon de sombres personnages à l’apparence respectable dans une atmosphère sournoise et renfermée. De plus, le commissaire Bolomco à des traits communs avec l'inspecteur Maigret de Simenon : tous deux sont des hommes simples qui peuvent être mal à l'aise dans les milieux les plus favorisés. Le fait de détester les de La Rosière rend leur mort plus acceptable, voire délectable, d'autant plus quand on découvre la véritable identité du meurtrier que nous révèle l'épilogue. Et le tueur n'est autre que... Non, ce serait cruel ! Bien sûr, on ne peut trop en dire mais cet épilogue est particulièrement intéressant car il donne tout son sens à l'oeuvre et une nouvelle dimension à l'histoire. Le criminel revisite, avec le lecteur, tout le récit en donnant sa version des faits. Point par point, il explique ses sentiments, ses motivations, ses techniques et les difficultés rencontrées. Ces informations sont essentielles afin d'appréhender au mieux toutes les subtilités de la narration. Immanquablement, on se repassera le « film » dans sa tête. À l'instar de la reine du roman policier qu'est Agatha Christie et de son chef d'oeuvre les Dix petits nègres, Marion Sudoul réussit à tenir en haleine le lecteur grâce à une intrigue solide et on aura beau spéculer sur l'identité du tueur, il est impossible de trouver la solution sans l'épilogue. Il donc vivement conseiller de ne pas feuilleter les dernières pages avant de lire sous peine de se gâcher le plaisir et la surprise. Cet épilogue en étonnera plus d'un, et en laissera d'autres probablement dubitatifs. Quoi qu'il en soit, on ne peut pas y rester indifférent.

 

De l'enquête du commissaire Bolomco et de la vie de famille des de La Rosière, décrite aux travers de nombreux clichés tels que le pouvoir, l'argent, la drogue, le sexe et le meurtre, se dégage une satire sociale sans concession, certes très classique, mais dépoussiérée par une chute « mortelle ». Marion Sudoul nous livre ici un polar sombre, à la frontière de la « légende urbaine » (des histoires auxquelles les gens croient, mais dont on ne peut vérifier la véracité) au regard de certains faits divers —, dans lequel elle dépeint avec dérision une humanité décadente et méprisante à l'égard de son prochain. Une chose et sûre, en refermant ce livre, certains d'entre nous ne verront plus leur quotidien du même œil.

 

Temps de chien pour une enquête, Marion Sudoul

Éditions L'encre noire, Paris.

187p., 12,50 €

 

Marie Sucher

 

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