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Dolorès Cyprès a encore frappé !
Inspiré des Quatre cents coups de François Truffaut des Faux-monnayeurs d’André Gide, Pédérastie, bel ange lyrique n’est pas pour autant une redite sur un thème mille et une fois repris dans la culture française. Les deux garnements, attirés par la transgression, sont avant tout les témoins d’une société en perdition, de plus en plus individualiste et égoïste. A travers le style arachnéen, élégant presque maniériste, parfois vulgaire et grossier, le fidèle lecteur reconnaîtra la plume de Dolorès Cyprès, égale à elle-même, méprisante du monde, dissimulant de l’ironie là où tout novice verrait de la naïveté, voire de l’innocence teintée de bêtise. « Je suis navrée, quand je lis des articles sur mon livre, de m’apercevoir que des critiques, que je croyais sérieux, sont en fait aveugles comme des rats morts », me confia-t-elle entre deux bouffées de cigarette lors d’un entretien, « je n’ai pas voulu pérorer tout de suite et donner la clef de l’œuvre. J’aurais peut-être dû, mais il est si plaisant de faire passer ces paresseux pour des cons. »
L’auteur justifie cette incompréhension, qui lui valut des critiques insultantes, par une « poésie du contour » et une « esthétique du non-dit ». Se sentant agressée par une littérature de plus en plus simple, linéaire, au scénario prototypique, Dolorès Cyprès réagit à contre-pied et nous emmène dans un monde où le vide, l’absence d’un évènement, d’un objet, d’un individu sont aussi significatifs « qu’un pestiféré sur les Champs Elysées lors du défilé du quatorze juillet. » Ainsi, les scènes clés disparaissent et les questions posées tout au long de l’œuvre sont laissées ouvertes, sans réponse, jusqu’à la fin. Que sait-on de Naomie, cette adolescente vagabonde prêchant la bonne parole devant les pubs parisiens une fois par semaine ? Pourquoi Arthur nous raconte-t-il ses impressions sur Le Révizor de Gogol alors que Les nouvelles de Pétersbourg sont, pour lui, « un chef d’œuvre du genre » comme le répète sans cesse son oncle ?
Pédérastie, bel ange lyrique nous rappelle Petite Naïade, ô grande Noyade qui fut entaché du même scandale. A l’époque, la sulfureuse Madame Cyprès, à l’orée de ses trente ans, avait ridiculisé la critique en réécrivant Les aventures du Baron de Münchhausen, sans que celle-ci ne s’en aperçoive. Seule la critique allemande fut à même de découvrir le subterfuge et accusa la France de piller son patrimoine national. Aujourd’hui, après avoir écrit quatorze livres et gagné en maturité, Dolorès Cyprès fait encore mouche et réveille le monde littéraire en lui enfonçant les doigts dans la prise. Selon Emmanuel Agathe, critique culturel pour le magazine « Books » : « cette approche de l’œuvre littéraire rejoint l’art de la performance dont le but est de faire réagir le public. » Rappelons qu’Emmanuel Agathe fut l’un des premiers à décrier ce qu’il croyait être un nouveau tournant littéraire et stylistique funeste dans l’œuvre de Dolorès Cyprès, qu’il qualifia de « sénilité avancée » et du « symptôme de la grand-mère attendrie par sa progéniture. »
Même si Pédérastie, bel ange lyrique laisse à réfléchir, que ce soit sur son architecture polymorphe, sur son idéologie implicite ou sur sa manière de dire les choses, il n’en est pas moins un ouvrage bouleversant dans sa mise en scène du paysage parisien que l’on vit au quotidien et qui pourtant nous échappe. Aussi laisserai-je à Dolorès Cyprès le dernier mot : « Je ne dirais pas que c’est cette frénésie du passant à aller de plus en plus vite qui l’empêche de voir, je dirais plutôt que c’est le mépris de ce qui nous entoure qui nous empêche de voir cette merde dans laquelle on marche. »
Pédérastie, bel ange lyrique
Dolorès Cyprès
Cherche-Midi éditeur, 302 p., 2010, 22€.
Petite Naïade, ô grande Noyade
Dolorès Cyprès
Éditions du Seuil, collection « Fiction &Cie »,