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Sebastian Barry, Le testament caché (roman)
L’asile doit fermer. Trop vieux. Trop vétuste. Tout comme ses habitants d’ailleurs. Des vieux. Des laissés-pour-compte. D’anciens soldats irlandais dont plus personne ne veut entendre parler. Fin d’une époque.
À travers un journal, le lecteur entre dans l’intimité d’une vieille dame, Mme Roseanne Clear McNulty, une vieille dame encore très belle qui dit avoir cent ans. Quel est son passé ? Pourquoi a-t-elle été internée ? Plus de soixante ans de sa vie se sont écoulés dans cette institution, dont trente à être suivie par le Docteur Grene qui, à l’occasion de la fermeture de l’asile, doit décider qui de ses pensionnaires, est apte à rejoindre la « société ».
Au fil des écrits de Roseanne sur des bouts de feuilles jalousement gardées et cachées sous une latte de plancher ; au fil d’un compte-rendu du père Gaunt, qui a bien connu Roseanne, et que le médecin a trouvé ; au fil du journal de celui-ci, enfin, ce passé, si mystérieux d’abord, lourd, sombre et tragique ensuite, s’éclaire peu à peu. Mais qui croire ? La vieille dame qui reconnaît elle-même que sa mémoire lui joue parfois des tours, l’incitant à croire réelles des choses imaginaires ? Ou le père Gaunt, qui, livre une tout autre histoire ? Le docteur Grene lui-même doute quelque peu de la validité du témoignage de cet homme pieux, qui comporte trop de zones d’ombre, d’incohérences, de justifications plus que d’explications.
Sur fond d’histoire irlandaise, c’est presque un siècle de guerre intestine entre les habitants d’un même pays que fait revivre Sebastian Barry, dans un récit haletant, poignant, malgré, peut-être, quelques longueurs. Mais c’est sans doute l’originalité de l’auteur : savoir faire durer le plaisir, savoir aménager des pauses dans son récit, passer d’un protagoniste à l’autre, distiller le suspens, au point que la tentation est grande parfois de passer quelques pages pour connaître la suite et savoir, enfin.
C’est un roman sur l’humain que Sebastian Barry nous propose, sur ses défauts, ses fêlures, ses échecs, ses fautes, le poids du passé sur le présent ; un roman sur la mémoire, la vieillesse, mais aussi sur la filiation, l’amour maternel ; le roman d’une époque où l’asile n’était pas seulement le lieu de résidence des malades mentaux, mais aussi celui de toutes ces personnes qu’un époux, une épouse, une famille, un père, une mère, une belle famille, parfois la société entière rejetaient, enfermaient et oubliaient.
Sebastian Barry est né à Dublin en 1955. À la fois romancier, poète et dramaturge, il est reconnu comme l’une des voix les plus importantes de l’Irlande aujourd’hui.
Sebastian Barry, Le testament caché, trad. Par Florence Lévy-Paolini, Editions Joëlle Losfeld, coll. Littérature étrangère, 2009, 24 euros.