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Théâtre : Gilles Granouillet, Nos écrans bleutés


Alors que la téléréalité règne de plus en plus sur le petit écran, Gilles Granouillet, dans une pièce courte mais incisive, Nos écrans bleutés, nous donne à voir ce qui, bientôt, pourrait en être l’ultime dérive. Pour ce faire, il met chaque spectateur en position de caméra.

Sur la scène, une famille apparemment ordinaire : la mère, la fille, le gendre. Ils attendent le père qui revient de l’hôpital après sa treizième tentative de suicide. Les caméras-spectateurs sont censés provoquer en lui un déclic : la famille espère que, lorsque celui-ci se verra à la télévision, il cessera d’attenter à ses jours. Du moins est-ce la justification donnée par la famille pour expliquer la présence des caméras dans le pavillon.

Sauf que… À peine rentré chez lui, dans son jardin, le père tente à nouveau de se suicider. La famille le fait entrer dans la maison. Son épouse est partagée entre incompréhension (« il a tout pour être heureux ! ») et inquiétude de ce que la télévision soit là pour rien. Elle demande alors à son époux, encore sous le choc mais toujours vivant, de se suicider devant les caméras, afin que celles-ci ne se soient pas déplacées pour rien, arguant du fait également qu’un suicide en direct fera grimper l’audimat.

Nos écrans bleutés est un pamphlet contre cette société où l’intime est jeté en pâture à des spectateurs friands de ragots et de sensationnel, remplissant ainsi le vide de leur propre vie, vivant par procuration des choses ordinaires sur le mode de l’extraordinaire. La pièce dénonce ce qu’il y a d’absurde et de choquant dans ces mises en scène qui ne reculent devant rien au nom du dieu Audimat. En poussant jusqu’à l’extrême la dérive de la téléréalité – un suicide en direct –, Gilles Granouillet dénonce ceux qui profitent du malheur des gens, de leur détresse, de leur souffrance pour gagner toujours plus d’argent. Il dénonce aussi la bêtise et la naïveté de certains qui sont prêts à tout, même au pire, pour connaître un moment de gloire si éphémère soit-il. Il dénonce enfin tous ceux qui, pour une raison ou une autre, suivent assidûment ce type d’émission.

Ce thème de la mort filmée en direct n’est pas nouveau. Le cinéma, bien avant la téléréalité, l’a exploité. Network, de Sidney Lumet sorti en 1976 aux USA et réadapté en 2007 ou encore La mort en direct, de Bertrand Tavernier, sorti en 1980 abordent ce sujet. La vraie bonne idée de Gilles Granouillet est d’avoir mis le spectateur en position de caméra. Celui-ci n’est plus l’observateur passif d’anonymes prêts à tout pour devenir des people, mais l’acteur principal de ce que des producteurs sans vergogne lui donnent à voir. Face à cela, le spectateur devenu acteur, ne peut plus simplement se cacher derrière son écran de télévision, il est obligé de s’impliquer et de prendre – ou non – ses responsabilités.

 

Gilles Granouillet, Nos écrans bleutés, Actes Sud-Papiers, 2009, 10 euros.

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