Mélancolie énergisante : The Smashing Pumpkins, Mellon Collie And The Infinite Sadness.
mar, 06/07/2011 - 16:38 | Ajouter un commentaire
Mellon Collie And The Infinite Sadness est le troisième album studio des Smashing Pumpkins, sorti le 24 octobre 1995 sous le label Virgin Records. Billy Corgan, le leader du groupe, produit lui-même cet album – en compagnie des producteurs Alan Moulder et Flood-, composé des deux disques Dawn To Dusk et Twilight To Starlight. Propulsé au sommet des charts après le succès de Siamese Dream, et de son fameux single pop rock Today, leur précédent album de 1993, les SP étaient attendus au tournant. On collait alors au groupe l’étiquette de « groupe grunge ». Sans nier l’influence de ce célèbre mouvement, Corgan voulait élever les Citrouilles Ecrasées au-delà de cette catégorie.
Voilà sans doute pourquoi il séquestra ses collègues plus de six mois en studio (de mars à août 95) pour un enregistrement aussi long qu’épique. Les anecdotes – plus ou moins avérées – sur la tyrannie exercée par Billy Corgan sur le reste du groupe (D’Arcy Wretzky à la basse, James Iha à la guitare, et Jimmy Chamberlain à la batterie) sont légions depuis cette époque ! Il est notoire que Corgan, s’il avait pu, aurait joué de tous les instruments lui-même. Avouons, à sa décharge, que les Smashing Pumpkins, c’est lui. Ses compositions et sa voix nasillarde haut perchée sont les garants fondamentaux de l’identité du groupe, la clé de son succès.
L’album, jusque dans la conception graphique de son livret, révèle la personnalité du leader du groupe : Billy Corgan est crédité à la direction artistique de Mellon Collie ; c’est lui qui commande à John Craig toutes ces illustrations faisant la part belle au monde de l’enfance. On pense notamment à cette quatrième de couverture montrant deux oiseaux habillés en hommes, aux commandes d’un albatros de dessin animé : Disney n’a qu’à bien se tenir. S’il clamait souvent, dans Siamese Dream, son désir de revivre ses vertes années, ici Corgan met en musique ses doutes et les paradoxes insurmontables auxquels le confronte sa vie d’adulte. Le charme de Mellon Collie…, comme son titre l’indique, réside principalement dans la fragilité même de son auteur, dont le double album devient un magnifique exutoire.
La tonalité générale est sombre et introspective. Ainsi, dans le titre « Bodies », il chante que « l’amour est un suicide » ; alors même que le sublime et grandiloquent « Tonight, Tonight » annonce que « l’impossible est possible ». On passe sans cesse de l’exaltation à la dépression dans Mellon Collie : œuvre romantique par excellence ; mais aussi schizophrénie artistique assumée qui peut rendre l’écoute de l’album difficile pour certains auditeurs. Ou, à l’inverse, faire de l’album un chef d’œuvre : son succès, ses neufs disques de platine et ses sept nominations aux Grammys Awards en 1997, suffisent à eux seuls à montrer de quel côté la majeure partie du public, et des critiques, s’est positionnée.
L’ambition artistique de Corgan et de ses acolytes passent autant par leurs textes contrastés, que par la variété de leurs choix musicaux : on passe de l’electro-rock (« Love ») à des chansons douces, où violons et harpes se font entendre (« To Forgive » ou « Cupid De Lock ») ; d’un franc heavy metal appuyé par des guitares lourdes et agressives (« An Ode to No One » ou « X.Y.U ») , à un style proche de la berceuse – avec le titre qui conclut l’album, le bien nommé « Farewell and Goodnight ». Bien sûr, tout n’est pas parfait. Les Smashing Pumpkins livrent ainsi des compositions plus longues et élaborées, dont les résultats sont contrastés. Ainsi si « Thru The Eyes Of Ruby » fait voyager son auditeur dans un monde rock féerique, de la première à la dernière seconde, il n’en est pas de même du sauvage « X.Y.U », dont les sept minutes paraissent vite lassantes. Cette chanson semble incarner la quintessence des points faibles de la bande de Corgan : les innombrables pistes de guitares que l’on pourrait isoler sur ce titre se muent en une bouillie bruyante et informe ; le chaos musical guette…
Peut-être que la longueur même de l’album, de deux heures environ, rend son appréhension difficile – il m’a fallu un an pour en connaitre tous les titres –, et que certaines compositions de Corgan peuvent se révéler inégales. Mais les risques pris par celui-ci dans la composition de ses chansons – on pense notamment aux thèmes abordés par ces textes et aux différents styles musicaux dont regorge Mellon Collie…- élèvent sans conteste cet album au dessus des productions rock moyennes, et ce de manière intemporelle.
Jamais plus Billy ne parvint à un tel degré de génie créatif. Les autres albums des Smashing Pumpkins, Adore et Machina, sont loin d’être inintéressants ; mais pour celui qui s’attendait à un nouveau Mellon Collie…, la déception fut à chaque fois au rendez-vous. Le nouveau virage gothique et électro-rock, dans les deux albums susnommés, enferma le groupe dans un style qu’ils n’arrivèrent plus à dépasser. Peut-être les Smashing Pumpkins ont-ils atteint leur plénitude artistique prématurément. Une chose est sûre : tout amateur de rock se doit de connaître leur opus de 95. Mellon Collie And The Infinite Sadness n’est pas seulement le point d’orgue de la carrière des SP, c’est un album culte !
Nicolas Rosa.